Russie Navalny revient en force pour affronter Poutine
Son empoisonnement raté lui a donné une nouvelle stature politique. L’opposant no 1 au régime se prépare à un retour en Russie qui n’enchante guère le Kremlin.
es semaines passées entre la vie et la mort n’ont émoussé ni la combativité d’Alexeï Navalny, ni son aisance médiatique. Quelques jours après être sorti de l’hôpital de la Charité, à Berlin, il accuse Vladimir Poutine d’être impliqué dans son empoisonnement via une interview à l’hebdomadaire allemand le Spiegel. Amaigri et les mains encore tremblantes, il annonce vouloir « retrouver la forme le plus vite possible pour pouvoir retourner » en Russie, sans quoi « cela signifierait que Poutine a gagné ». Les jours suivants, il s’adresse au youtubeur Iouri Doud, puis à la BBC, pour marteler le même message : « Si je ne reviens pas, c’est encore mieux pour eux [le Kremlin] que si j’étais mort. Parce que dans l’esprit du public, partir, c’est renoncer. »
Si son porte-parole a jugé « insultantes et inacceptables » les dénonciations de Navalny, le président russe a toutefois de quoi être nerveux. Car son principal opposant, désormais sous le feu des projecteurs étrangers (la chancelière Angela Merkel lui a même rendu visite dans sa chambre d’hôpital), a gagné en stature politique ce qu’il a perdu en épaisseur physique. Son compte Instagram témoigne de sa notoriété grandissante : posté le 15 septembre, son message le montrant émergeant du coma et entouré par sa famille a récolté plus de 1,5 million de « j’aime ».
L« Le patient est un citoyen russe, et comme tous les citoyens russes, il a le droit de rentrer au pays », a laconiquement concédé le Kremlin, comme pour minimiser la portée symbolique d’un tel retour. En réalité, les autorités semblent tout faire pour inciter Navalny à rester en exil : refus obstiné d’ouvrir une enquête criminelle, saisie le 24 septembre de son appartement moscovite et de ses comptes en banque… « On lui fait comprendre qu’il n’est pas le bienvenu à Moscou, constate Arnaud Dubien, directeur de l’Observatoire francorusse. Quand il rentrera, il continuera d’être soumis à de très fortes pressions. »
« Le pouvoir n’a en réalité que deux options, considère Fiodor Kracheninnikov, politologue proche de l’opposition. La première, c’est de jeter Navalny en prison dès son retour, mais cela lui donnerait encore plus d’envergure. La seconde consiste à le considérer comme quelqu’un d’insignifiant. Mais c’est devenu impossible : son nom a été cité partout, même dans les médias d’Etat. »
La « résurrection » de Navalny a porté un coup à la stratégie qui avait jusque-là réussi au Kremlin. Ses partisans et lui sont traités comme des parias par les journalistes du service public ; leur participation aux élections est empêchée ; leurs structures politiques sont fermées, leurs bureaux sont souvent perquisitionnés, leur matériel régulièrement saisi, et les amendes pleuvent. De fait, malgré des enquêtes anticorruption très suivies sur Internet et des succès électoraux liés à sa stratégie du « vote intelligent » (consistant à toujours soutenir le candidat se présentant contre le parti présidentiel Russie unie), Navalny a été cantonné aux marges de la vie politique russe.
Symbole de cette marginalisation, Vladimir Poutine n’a jamais prononcé son nom en public. Une attitude censée montrer l’abyssale différence de niveau entre le président et son rival. Les formules du chef d’Etat pour désigner Navalny – « le patient allemand », « cet individu » – paraissent cependant complètement décalées, alors que plusieurs pays, dont l’Allemagne et la France, lui demandent des explications sur la tentative d’assassinat dont l’opposant a été victime.
P. 40. Navalny revient en force pour affronter Poutine
P. 41. Erdogan toujours plus agressif P. 42. La diplomatie à l’anglaise, entre piraterie et pragmatisme