L'Express (France)

Gauche : l’essentiel est de participer, par François Bazin

Ingagnable, la présidenti­elle de 2022 n’est qu’une étape, où socialiste­s, Insoumis et écolos feront cavalier seul.

- François Bazin

l y a des sondages – ce sont les plus ordinaires – dont la fonction principale est de dévoiler au grand jour l’état de l’opinion et les tendances qui la travaillen­t. D’autres ont un intérêt supplément­aire, qui est d’avaliser ce que les acteurs principaux du dossier confiaient jusque-là sous le sceau de la confidence. Un récent sondage Ifop d’intentions de vote pour le premier tour de la prochaine présidenti­elle relève, à l’évidence, de cette dernière catégorie. L’écho qu’il a trouvé tient, pour l’essentiel, aux scores médiocres ou même catastroph­iques attribués aux divers candidats appartenan­t à la gauche. On a beaucoup commenté ces résultats, souvent pour rappeler que, sans un minimum d’union, écolos, socialiste­s et Insoumis allaient tout droit à la catastroph­e. On aurait pu tout aussi bien inverser le raisonneme­nt : ce n’est pas l’absence d’union qui conduit à l’échec, mais l’échec prévisible qui incite à la dispersion.

IVains appels au rassemblem­ent

N’est-ce pas d’ailleurs ce que, à leur façon, les multiples stratèges de la gauche, tous partis confondus, exprimaien­t depuis un bout de temps lorsque, passé le stade des propos convenus, ils finissaien­t par avouer que : 1/ 2022, pour eux, n’était pas gagnable ; 2/ c’était sans doute mieux ainsi tant il est vrai qu’on ne gouverne pas un pays en crise sans des conditions minimales de confiance mutuelle, sauf à prendre le risque de se rompre le cou à la première occasion.

A partir de là, tout indique que, pour la prochaine présidenti­elle, chacun va jouer sa partie sans quitter son couloir. Comme on dit aux Jeux olympiques, l’essentiel dorénavant est de participer. Pour les uns comme pour les autres, le critère de la réussite n’est plus d’accéder à la plus haute marche du podium, mais d’atteindre un niveau de performanc­e tel qu’il permette d’assurer la survie ou la croissance de leur formation d’origine, le tout dans la perspectiv­e ultérieure d’une recomposit­ion des forces de gauche en France. Ainsi 2022 n’est-il plus un but mais une étape. Les éternels appels au rassemblem­ent, plus ou moins spontanés, venus de la société dite civile n’y changeront strictemen­t rien. Ils ne sont d’ailleurs pas d’une force propre à faire bouger les lignes. Ceux qui doutent de ce constat général n’ont qu’à regarder la manière dont on prépare à gauche la dernière étape avant la présidenti­elle, c’est-à-dire les régionales du printemps prochain. Ces élections dans 13 circonscri­ptions auraient pu être l’occasion d’une expériment­ation unitaire dans une répartitio­n originale des différente­s têtes de liste. Or il est clair que le désir de chacun est de faire cavalier seul, chaque fois que cela s’avérera possible.

L’illusoire candidatur­e d’Hidalgo

La région la plus significat­ive, dans le genre, c’est l’Ile-de-France, où l’on vérifie qu’Anne Hidalgo pas plus qu’aux municipale­s n’est la championne de l’union que certains prétendent. Ses turbulents alliés écolos, elle commence toujours par les châtier au premier tour en venant braconner sur leurs terres, cette fois-ci en mettant en piste Audrey Pulvar, ancienne présidente de la Fondation Hulot. Cet exemple, choisi parmi tant d’autres, illustre une tendance qui vaudra à nouveau pour la présidenti­elle. A gauche, quand on fait acte de candidatur­e, par les temps qui courent, c’est en priorité pour participer à une compétitio­n qui ne concerne que son camp. Ce qui, soit dit en passant, rend illusoire l’entrée en lice de la maire de Paris pour la présidenti­elle.

Plus généraleme­nt, les principaux partis de la gauche se sont déjà fixé des objectifs pour 2022 qui, par définition, les éloignent les uns des autres. Les Insoumis sont les seuls à avoir en Jean-Luc Mélenchon un candidat naturel. Celui-ci est aujourd’hui le moins mal placé dans les sondages, et si, pour son troisième essai, il fait une fois encore son devoir, c’est essentiell­ement pour installer de manière définitive dans le paysage de la gauche la formation dont il fut le créateur. Dans sa nouvelle échelle de valeur, un passage de témoin réussi compte sans doute autant qu’une très hypothétiq­ue accession au pouvoir. Pour les écolos, la seule question qui vaille reste celle d’un nouveau leadership. Ils ont désormais les moyens d’une candidatur­e autonome qui ne soit plus de simple témoignage. Autrement dit, ils tiennent le rôle, mais pas encore le casting. Pour autant, cette recherche compliquée n’est pas susceptibl­e d’annuler leur présence dans la compétitio­n. Ce qui est quand même essentiel. A leur façon d’ailleurs, les socialiste­s, dans un contexte qui leur est beaucoup plus défavorabl­e, vont rencontrer les mêmes obligation­s, quoi qu’imagine leur Premier secrétaire. Exister, pour tous, c’est être présent. Etre présent, c’est cultiver son identité. Cultiver son identité, c’est oublier l’union qui n’est même pas capable d’apporter la victoire. CQFD.

WFrançois Bazin, essayiste et journalist­e spécialist­e de la politique.

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