Un Prix Nobel français,mais surtout européen
Ce que la récompense en chimie reçue par la généticienne Emmanuelle Charpentier dit de l’état de la recherche hexagonale.
«Se réjouir, puis se lamenter », un travers très français. A peine Emmanuelle Charpentier venait-elle de recevoir le prix Nobel de chimie, le 7 octobre, que nos hommes politiques ont d’abord salué cette « victoire tricolore », avant de regretter que la récipiendaire eût quitté l’Hexagone il y a vingt-cinq ans. Et de conclure que nous sommes incapables de « garder nos chercheurs les plus brillants ». En cela, ils ont été confortés par la microbiologiste née à Juvisy-sur-Orge (Essonne) déclarant : « Les moyens financiers que j’ai à Berlin, à l’institut Max-Planck, je ne les aurais certainement pas en France. » Exact. Mais pas si binaire. Avant elle, le dernier Français à avoir obtenu un Nobel de chimie, Jean-Pierre Sauvage (en 2016), a fait l’essentiel de sa carrière sur le territoire national, comme Serge Haroche (physique, 2012) ou Claude Cohen-Tannoudji (physique, 1997). Ce que nous apprend le cas Charpentier, c’est que la France possède l’un des enseignements scientifiques les plus solides du monde, mais, depuis une décennie, peu de laboratoires à la hauteur : à nous l’excellence de la formation et le bonnet d’âne en matière de structures. La faute à un financement insuffisant et mal réparti – si une comparaison semble pertinente avec l’Allemagne, c’est que notre budget en recherche et développement demeure 2 fois moindre : environ 50 milliards d’euros (un peu plus de 2 % du PIB), contre plus de 100 milliards (à peu près 3 % du PIB) outre-Rhin ! Mais arrêtons cette autoflagellation permanente ! Les choses bougent. La loi de programmation de la recherche, en débat au Parlement, améliorera la situation (statut et salaires) de nos jeunes scientifiques ; tout comme celle sur la bioéthique (en discussion au Sénat début 2021) leur permettra clairement d’utiliser, dans le cadre de la recherche, les fameux « ciseaux moléculaires » (CRISPRCas9) d’Emmanuelle Charpentier, adoptés ailleurs sur la planète. Réjouissons-nous, enfin, du parcours de la Française : après un diplôme obtenu à l’université Pierre-et-Marie-Curie, puis un doctorat à l’Institut Pasteur, à Paris, il est possible de faire fructifier son savoir et de réussir sa carrière à l’étranger. Charpentier ne nous a pas été ravie par les Etats-Unis (elle y a passé quelques années), mais elle est représentative de cette génération qui doit se montrer ambitieuse et bouger sans cesse pour progresser. A l’actif de la chercheuse : neuf instituts dans cinq pays différents et tous, depuis 2002, en Europe (Autriche, Suède, Allemagne). La science est une langue internationale. Cessons nos querelles de clocher pour voir en Emmanuelle Charpentier la plus européenne des prix Nobel.