L'Express (France)

Mineurs isolés : la délicate déterminat­ion de l’âge

Majeurs ou pas ? L’aide sociale à l’enfance comme la justice peinent souvent à trancher avec certitude l’âge des jeunes exilés. L’enjeu est aussi financier et politique.

- PAR CLAIRE HACHE

e 17 août 2018, le jeune qui se présente au guichet de l’aide sociale à l’enfance (ASE) du Val-d’Oise pour la première fois explique ne pas avoir de papiers d’identité. Les agents départemen­taux ont l’habitude, c’est souvent le cas. Le garçon fournit un nom – Hassan Ali – et, surtout, une date ainsi qu’un lieu de naissance : le 10 août 2002, à Mandi Bahauddin, au Pakistan. Il vient d’arriver sur le territoire après un périple à travers l’Iran, la Turquie et l’Italie. Le personnel chargé d’évaluer sa minorité doute sérieuseme­nt de la réalité de ses 16 ans et finit par refuser sa demande de prise en charge en tant que « mineur non accompagné », dénominati­on de l’administra­tion pour les migrants de moins de 18 ans présents en France sans leur famille. Hassan saisit alors le juge des enfants qui tranche et ordonne son accompagne­ment par les services sociaux jusqu’à sa majorité, soit en août dernier.

Cette histoire aurait pu rester un énième exemple anonyme du parcours administra­tif complexe des jeunes migrants isolés. Mais, le 25 septembre dernier, « Hassan Ali », muni d’un hachoir, s’est violemment attaqué à deux personnes qui se trouvaient devant les anciens locaux du journal Charlie Hebdo, dans le XIe arrondisse­ment de la capitale. Surtout, les enquêteurs

Lantiterro­ristes ont découvert qu’il s’appelait Zaheer Hassan Mahmoud. Et qu’il n’avait pas 16 ans quand il est arrivé en région parisienne, mais 23. Il n’aurait donc jamais dû bénéficier de l’ASE. Ce cas, aussi extrême qu’imprévisib­le, ne saurait résumer la réalité des mineurs non accompagné­s qui, « dans l’écrasante majorité, ne posent aucun problème et font tout pour s’intégrer », assure un magistrat en première ligne. Mais l’affaire jette une lumière crue sur une vraie problémati­que à l’arrière-plan, celle de la difficile évaluation de l’âge réel de ces jeunes. Etape cruciale car lourde de conséquenc­es : en dessous de 18 ans, la personne est prise en charge par la protection de l’enfance – comme n’importe quel enfant –, pour un coût estimé à 50 000 euros par an. Au-delà, elle doit se lancer dans un parcours tumultueux pour tenter de régularise­r sa situation en préfecture. L’enjeu financier est important, notamment entre l’Etat et les départemen­ts, car ce sont ces derniers, au titre de la protection de l’enfance, qui doivent assumer la prise en charge du mineur isolé. Il est aussi politique, puisque, à chaque fait divers, le débat s’enflamme et dérape.

Alors, sur les 16 760 mineurs confiés l’année dernière à l’ASE par décision judiciaire, combien avaient en réalité déjà passé le cap des 18 ans ? Combien de majeurs ayant pris « la place des vrais mineurs que nous devons protéger », pour reprendre la formule du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin ? Impossible à dire, encore moins à chiffrer avec précision. Ce qui est sûr, c’est que les litiges sont nombreux : dans plus de 1 dossier sur 2, les conseils départemen­taux estiment en effet que le jeune est majeur et refusent sa prise en charge, d’après les estimation­s de l’Assemblée des départemen­ts de France. A Paris, on serait même plus proche des 80 %, selon l’associatio­n les Midis du MIE (pour Mineurs isolés étrangers). Avec, à chaque fois, cette phrase écrite noir sur blanc dans les courriers : « Nous avons le regret de vous faire savoir que cet entretien d’évaluation ne permet pas de conclure à votre minorité et à votre isolement. » Reste alors la possibilit­é de saisir directemen­t un juge des enfants pour contester la décision. Là encore, le ministère de la Justice assure ne pas disposer de chiffres spécifique­s sur ces recours. Médecins sans frontières

P. 30. Mineurs isolés : la délicate déterminat­ion de l’âge

P. 32. Humoristes : au nom du peuple

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