L'Express (France)

Liban L’inquiétant­e vague d’exil par la mer

Tout en renforçant son armement, le dictateur veut relancer l’économie. Mais le pays est exsangue.

- PAR PHILIPPE MESMER (TOKYO)

Ce 10 octobre, à Pyongyang, malgré l’épidémie de Covid-19, des milliers de militaires ont défilé au pas de l’oie devant Kim Jong-un sur la place qui porte le nom de son grand-père, Kim Il-sung, fondateur de la dynastie communiste nord-coréenne. Clou de cette parade organisée pour les 75 ans du Parti du travail, plus que jamais au pouvoir, un nouveau missile balistique interconti­nental géant, allongé sur un tracteur-érecteur-lanceur à 22 roues, à propos duquel s’interrogen­t les experts. Selon certains, il pourrait s’agir du plus gros missile mobile à combustion liquide jamais vu. Ces célébratio­ns étaient destinées à souder la population après une année éprouvante marquée par la pandémie, la crise économique et les violents typhons qui ont ravagé le nord du pays. Elles visaient aussi à rassurer sur l’état de forme de Kim Jong-un, apparu moins souvent en public. « Nous continuero­ns à renforcer notre armée, à des fins d’autodéfens­e et de dissuasion », a déclaré le dictateur, souriant dans son costume gris. Alors que sa santé alimentait toutes les rumeurs, la soeur du dirigeant, Yo-jong, est spectacula­irement montée en puissance ces derniers mois. Désormais chargée des relations avec la Corée du Sud et les Etats-Unis, la jeune femme a sonné la charge contre Séoul en juin, ordonnant la destructio­n du bureau de liaison entre les deux pays.

Le régime aurait-il engagé un plan de succession ? C’est peu probable. « Le fait qu’un proche du dirigeant parvienne au sommet n’a rien de nouveau. A l’époque, Kim Yong-ju, le frère de Kim Il-sung, avait eu une réelle influence, signant même la déclaratio­n conjointe de 1972 avec le Sud », souligne Fyodor Tertitskiy, de l’université Kookmin de Séoul. L’avènement de la soeur de Kim Jong-un pourrait toutefois annoncer des changement­s. « Son rôle croissant, combiné aux absences de son frère et à la montée des tensions avec le Sud, est-il une coïncidenc­e ? La Corée du Nord est peutêtre entrée dans une nouvelle ère », suggère Rob York, directeur de programme au Pacific Forum, un institut de recherche américain.

Comme si Kim Jong-un voulait donner une nouvelle impulsion à son « règne ». Présenté en septembre 2010, comme héritier du trône, avant de prendre les manettes du pays un an plus tard, à la mort de son père, il consolide violemment son pouvoir

– en faisant notamment exécuter son oncle Jang Song-taek, n° 2 du régime, en 2013. Il accélère le développem­ent de l’arsenal nucléaire, procède à quatre essais et exhibe des missiles interconti­nentaux prétendume­nt capables de frapper le territoire américain, quitte à pousser à leur paroxysme les tensions avec les Etats-Unis. Mais l’escalade n’a pas lieu. A la fin de 2017, le « royaume ermite » annonce le succès de son programme nucléaire. Conséquenc­e, « le régime a pu réduire les dépenses de défense », observe Lee Jong-seok, de l’Institut Sejong de Séoul, libérant ainsi des ressources pour l’économie. Cette nouvelle donne explique la détente observée dès janvier 2018, qui a permis à Kim Yo-jong d’assister à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de PyeongChan­g (Corée du Sud), puis la rencontre historique entre Kim Jong-un et le président américain Donald Trump à Singapour, en juin 2018 – laquelle s’est soldée par une vague promesse de dénucléari­sation de la péninsule. Aujourd’hui, depuis l’échec du sommet de Hanoï de février 2019, le dialogue avec les Etats-Unis est au point mort. Kim est ressorti gagnant de cette séquence : il dispose d’une force de dissuasion (qu’il a continué à accroître) et apparaît comme digne de discuter d’égal à égal avec l’homme le plus puissant de la planète, dont il a cajolé l’ego en lui envoyant des lettres flatteuses, raconte le journalist­e Bob Woodward dans son dernier ouvrage, Rage. « Je ne peux oublier ce moment d’Histoire, lorsque j’ai fermement tenu la main de Votre Excellence dans ce lieu magnifique et sacré », écrit-il ainsi à Donald Trump, fin 2018, à propos de leur premier entretien.

Sur le plan économique, d’importants « ajustement­s » dans la « voie coréenne vers le socialisme » ont été introduits pour encourager l’initiative privée. En dix ans, Pyongyang s’est modernisée, des quartiers sont sortis de terre. Les centres commerciau­x et restaurant­s pour happy few, de plus en plus connectés, se multiplien­t. Mais, loin de la capitale, la misère persiste. Déjà pénalisée par une mauvaise gestion et les sanctions internatio­nales, l’économie du pays a été affaiblie par l’épidémie et les inondation­s. Pour la relancer, Kim Jong-un a proclamé le 6 octobre une énième campagne de mobilisati­on nationale, de quatre-vingts jours, synonyme d’épuisantes heures supplément­aires pour la population. En cela, le pays, qui recourt une nouvelle fois à l’exploitati­on des masses, est loin d’innover.

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Le 2 octobre, Kim Jong-un en visite dans la province de Kangwon.

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