Liban L’inquiétante vague d’exil par la mer
Tout en renforçant son armement, le dictateur veut relancer l’économie. Mais le pays est exsangue.
Ce 10 octobre, à Pyongyang, malgré l’épidémie de Covid-19, des milliers de militaires ont défilé au pas de l’oie devant Kim Jong-un sur la place qui porte le nom de son grand-père, Kim Il-sung, fondateur de la dynastie communiste nord-coréenne. Clou de cette parade organisée pour les 75 ans du Parti du travail, plus que jamais au pouvoir, un nouveau missile balistique intercontinental géant, allongé sur un tracteur-érecteur-lanceur à 22 roues, à propos duquel s’interrogent les experts. Selon certains, il pourrait s’agir du plus gros missile mobile à combustion liquide jamais vu. Ces célébrations étaient destinées à souder la population après une année éprouvante marquée par la pandémie, la crise économique et les violents typhons qui ont ravagé le nord du pays. Elles visaient aussi à rassurer sur l’état de forme de Kim Jong-un, apparu moins souvent en public. « Nous continuerons à renforcer notre armée, à des fins d’autodéfense et de dissuasion », a déclaré le dictateur, souriant dans son costume gris. Alors que sa santé alimentait toutes les rumeurs, la soeur du dirigeant, Yo-jong, est spectaculairement montée en puissance ces derniers mois. Désormais chargée des relations avec la Corée du Sud et les Etats-Unis, la jeune femme a sonné la charge contre Séoul en juin, ordonnant la destruction du bureau de liaison entre les deux pays.
Le régime aurait-il engagé un plan de succession ? C’est peu probable. « Le fait qu’un proche du dirigeant parvienne au sommet n’a rien de nouveau. A l’époque, Kim Yong-ju, le frère de Kim Il-sung, avait eu une réelle influence, signant même la déclaration conjointe de 1972 avec le Sud », souligne Fyodor Tertitskiy, de l’université Kookmin de Séoul. L’avènement de la soeur de Kim Jong-un pourrait toutefois annoncer des changements. « Son rôle croissant, combiné aux absences de son frère et à la montée des tensions avec le Sud, est-il une coïncidence ? La Corée du Nord est peutêtre entrée dans une nouvelle ère », suggère Rob York, directeur de programme au Pacific Forum, un institut de recherche américain.
Comme si Kim Jong-un voulait donner une nouvelle impulsion à son « règne ». Présenté en septembre 2010, comme héritier du trône, avant de prendre les manettes du pays un an plus tard, à la mort de son père, il consolide violemment son pouvoir
– en faisant notamment exécuter son oncle Jang Song-taek, n° 2 du régime, en 2013. Il accélère le développement de l’arsenal nucléaire, procède à quatre essais et exhibe des missiles intercontinentaux prétendument capables de frapper le territoire américain, quitte à pousser à leur paroxysme les tensions avec les Etats-Unis. Mais l’escalade n’a pas lieu. A la fin de 2017, le « royaume ermite » annonce le succès de son programme nucléaire. Conséquence, « le régime a pu réduire les dépenses de défense », observe Lee Jong-seok, de l’Institut Sejong de Séoul, libérant ainsi des ressources pour l’économie. Cette nouvelle donne explique la détente observée dès janvier 2018, qui a permis à Kim Yo-jong d’assister à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de PyeongChang (Corée du Sud), puis la rencontre historique entre Kim Jong-un et le président américain Donald Trump à Singapour, en juin 2018 – laquelle s’est soldée par une vague promesse de dénucléarisation de la péninsule. Aujourd’hui, depuis l’échec du sommet de Hanoï de février 2019, le dialogue avec les Etats-Unis est au point mort. Kim est ressorti gagnant de cette séquence : il dispose d’une force de dissuasion (qu’il a continué à accroître) et apparaît comme digne de discuter d’égal à égal avec l’homme le plus puissant de la planète, dont il a cajolé l’ego en lui envoyant des lettres flatteuses, raconte le journaliste Bob Woodward dans son dernier ouvrage, Rage. « Je ne peux oublier ce moment d’Histoire, lorsque j’ai fermement tenu la main de Votre Excellence dans ce lieu magnifique et sacré », écrit-il ainsi à Donald Trump, fin 2018, à propos de leur premier entretien.
Sur le plan économique, d’importants « ajustements » dans la « voie coréenne vers le socialisme » ont été introduits pour encourager l’initiative privée. En dix ans, Pyongyang s’est modernisée, des quartiers sont sortis de terre. Les centres commerciaux et restaurants pour happy few, de plus en plus connectés, se multiplient. Mais, loin de la capitale, la misère persiste. Déjà pénalisée par une mauvaise gestion et les sanctions internationales, l’économie du pays a été affaiblie par l’épidémie et les inondations. Pour la relancer, Kim Jong-un a proclamé le 6 octobre une énième campagne de mobilisation nationale, de quatre-vingts jours, synonyme d’épuisantes heures supplémentaires pour la population. En cela, le pays, qui recourt une nouvelle fois à l’exploitation des masses, est loin d’innover.
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