L’autre Etat profond
EXCEPTION FRANÇAISE. HISTOIRE D’UNE SOCIÉTÉ BLOQUÉE, DE L’ANCIEN RÉGIME À EMMANUEL MACRON
ODILE JACOB, 520 P., 27,90 €. WWWWW
La France est, évidemment, une terre d’exception. Mais elle est aussi, plus que toute autre, la terre des exceptions. Exception culturelle, toujours mise en avant dans les négociations commerciales internationales ; exception sportive, puisque le pays se veut à la pointe de la lutte contre le dopage ; exception gastronomique (inutile de développer…) ; exception politique, avec cette passion poussée à l’extrême pour l’égalitarisme et pour un Etat jugé plus qu’ailleurs protecteur et impartial.
Jean-Philippe Feldman, agrégé de droit, avocat et spécialiste de l’histoire des idées politiques, démontre d’abord avec méthode et une profondeur de champ historique qui va de Charlemagne à Emmanuel Macron comment ces particularismes se sont forgés au fil des siècles et la manière dont ils s’articulent entre eux. Exercice souvent tenté, mais rarement abouti. Dans L’Identité de la France, l’immense historien Fernand Braudel luimême observe bien que la nation n’est pas pénétrée « par le goût éperdu du profit », mais il n’explique pas cette méfiance à l’égard du capitalisme.
Alors, certes, Jean-Philippe Feldman mobilise des arguments déjà connus pour expliquer les exceptions tricolores : le poids du catholicisme, la crainte de la dérogeance, la pensée des Lumières, la pérennité du corporatisme et le centralisme jacobin, qui expliquent que, à rebours de quasiment tous les autres grands pays, l’Hexagone ne s’est jamais vraiment libéralisé.
Mais la force de sa démonstration réside dans la mise en évidence de l’incroyable continuité qui a caractérisé l’action de l’Etat français depuis le Moyen Age. Cela peut en effet paraître étonnant dans une nation qui a connu l’alternance d’une vingtaine de régimes politiques en mille ans, dont une petite quinzaine depuis 1789 – bien plus que tous ses voisins –, mais voilà : depuis toujours, l’Etat français est centralisateur, interventionniste et protectionniste.
De tout temps, les finances publiques ont été mal gérées avec, comme corollaires, l’oppression fiscale et une créativité mondialement reconnue pour inventer de nouveaux impôts. Et c’est au coeur de cet Etat qu’il faut chercher les plus fortes résistances auxquelles se sont heurtées les rares tentatives réformistes entreprises pour libéraliser davantage le pays, depuis Turgot jusqu’à Raymond Barre.
Emmanuel Macron et la crise sanitaire exceptionnelle que nous traversons débloqueront-ils la société ? Jean-Philippe Feldman en doute, tant le monde dont semblent rêver les Français pour demain a tous les atours de celui d’hier…
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