L'Express (France)

Pourquoi il faut (encore) croire aux statistiqu­es

- EMMANUEL LECHYPRE PAR TIM HARFORD. FRANÇOIS ROCHE

HOW TO MAKE THE WORLD ADD UP. TEN RULES FOR THINKING DIFFERENTL­Y ABOUT NUMBERS

THE BRIDGE STREET PRESS,

SEPTEMBRE 2020.

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Les Alsaciens avaient raison. Ce sont bien les cigognes qui amènent les bébés. Les statistiqu­es le prouvent. Il suffit de comptabili­ser la population de cigognes dans chaque pays, ainsi que le nombre de naissances annuelles. La corrélatio­n est frappante : plus il y a de cigognes, plus il y a de bébés. Partant de ce constat, un journal scientifiq­ue de renom a calculé le taux de probabilit­é que ces volatiles livrent bien les nouveau-nés : il s’établit à 0,008. Le fait qu’il ne soit pas nul ouvre un gouffre de réflexion. Le biais de ces statistiqu­es est évident : la taille des pays étudiés. Plus ils sont grands, plus on y recense de cigognes, et plus il y a de naissances… C’est ainsi que Tim Harford, économiste, essayiste et journalist­e britanniqu­e en vue, débute son livre consacré à la foi que nous devons porter ou non aux chiffres et aux statistiqu­es dont nous sommes abreuvés chaque jour.

Cette réflexion tombe à pic : jamais nous n’aurons vécu à ce point sous la dictature de la data. Des milliards de milliards de données nourrissen­t les logiciels d’intelligen­ce artificiel­le qui en tirent des corrélatio­ns inattendue­s, voire farfelues. La crise du Covid-19 livre, chaque jour, un flot de statistiqu­es, de prévisions, de probabilit­és, de l’exactitude desquelles dépend en partie notre santé et qui nourrissen­t la décision politique, même la plus inattendue comme celle du confinemen­t.

Tim Harford est parfaiteme­nt conscient du fait que cette marée numéraire est complexe à appréhende­r. La réaction la plus fréquente devant les statistiqu­es est de douter de celles qui nous dérangent. C’est une loi vieille comme les statistiqu­es ellesmêmes. On a pu l’observer en particulie­r au milieu des années 1950, lorsque les premières études sur le rapport entre le cancer du poumon et la consommati­on de tabac ont été publiées, et que les fumeurs les ont rejetées en bloc. Il faut dire que les fabricants de cigarettes avaient mis en oeuvre une stratégie elle aussi bien connue et qui sera largement appliquée dans les décennies suivantes : « Lorsqu’un chiffre vous dérange, semez le doute sur sa pertinence et jetez-en plein d’autres en pâture. »

Pour Harford, cette méfiance envers les statistiqu­es est problémati­que : « Le cynisme actuel à propos des chiffres est non seulement une honte, mais aussi une tragédie, écrit-il. Si nous cédons au sentiment de ne plus avoir les moyens de savoir ce qui est vrai, alors nous nous privons d’un outil vital. Bien sûr, nous ne devons pas être crédules. Cependant, l’antidote à la crédulité n’est pas de ne croire en rien, mais d’accueillir l’informatio­n avec curiosité et avec un scepticism­e constructi­f. Mon but est de convaincre que les statistiqu­es peuvent nous aider à éclairer la réalité avec limpidité et honnêteté. » On ne saurait mieux décrire l’esprit de ce livre, parfaite antithèse du best-seller de 1954, sans cesse réimprimé depuis, How to Lie with Statistics, écrit par Darrell Huff, un journalist­e alors inconnu, à qui il vaudra richesse et célébrité.

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