Une fascination durable, par Yascha Mounk
Les dirigeants populistes se font réélire plus souvent que leurs homologues libéraux. Trump sera-t-il l’exception ?
e nombreux Américains ont honte de leur pays. Qu’un homme comme Donald Trump ait pu non seulement remporter une élection présidentielle, mais aussi conserver le soutien de tant de ses compatriotes malgré ses échecs évidents – notamment sa réponse bâclée à la pandémie et son refus de promettre qu’il accepterait le résultat de l’élection – n’a, en effet, rien de très glorieux. Cependant, en tant que politologue spécialisé dans la montée des populistes autoritaires sur la planète, je sais que la fascination durable exercée par Trump est davantage la règle que l’exception.
Ces dernières années, les dirigeants avec ce profil
– des politiciens qui ne se contentent pas de se plaindre des élites politiques existantes, mais qui refusent également de reconnaître toute limite à l’exercice légitime de leur pouvoir – ont conquis les plus hautes fonctions des démocraties du monde entier : de Jair Bolsonaro, au Brésil, à Narendra Modi, en Inde, et Rodrigo Duterte, aux Philippines. L’attrait de ces trois personnalités s’est révélé étonnamment résistant. Modi a décroché un second mandat avec éclat. Bolsonaro, qui en est encore à son premier, affiche des scores élevés d’opinions favorables dans la plupart des sondages. Duterte ne peut pas se représenter, mais il jouit d’une popularité bien supérieure à celle de ses prédécesseurs. Les Etats-Unis pourraient incarner l’exception en novembre : si les résultats
Ddes urnes confirment les sondages, l’Amérique sera la première grande démocratie, de mémoire récente, à bouter un populiste hors du pouvoir à l’issue d’un unique mandat.
Un voeu pieux
Lorsque Trump a été élu, nombre de ses adversaires se sont pris à rêver qu’il quitterait ses fonctions bien avant le terme de sa présidence. Il allait peut-être se lasser de ses responsabilités politiques. Etre destitué. Ou même envoyé en prison.
Ce voeu pieux est typique des opposants aux populistes autoritaires. Malheureusement, loin d’être particulièrement exposés à devoir abandonner le pouvoir de manière précipitée, les présidents et Premiers ministres populistes restent en moyenne six ans et demi en fonction, soit deux fois plus longtemps que leurs homologues non populistes (trois ans). Comme la politologue Jordan Kyle et moi l’avons montré, cette différence est patente lorsque l’on compare les gouvernements en place depuis plus de dix ans. Un président ou un Premier ministre populiste a 5 fois plus de chances de rester en fonction après une décennie qu’un gouvernement non populiste. Nous avons également trouvé peu d’exemples de gouvernants ayant ce profil et perdu le pouvoir après un seul mandat. Comme le démontrent des pays allant de la Hongrie à la Turquie, les électeurs ont tendance à ne pas reconnaître qu’ils ont mal choisi leurs dirigeants tant que ces derniers n’ont pas causé de graves dommages aux institutions démocratiques.
1 chance sur 5 de gagner
A l’approche d’une élection où la démocratie est réellement en jeu aux Etats-Unis, la popularité persistante des populistes devrait servir d’avertissement urgent. Même lorsque de nombreux experts les sortent de la course, ils ont tendance à se faire réélire. Et bien que les sondages placent Joe Biden en tête, les modèles les plus sophistiqués donnent encore à Trump 1 chance sur 5 de gagner. Pour aggraver les choses, le contexte international prouve que les quelques populistes qui ont échoué à se faire réélire pour un second mandat ont tendance à conserver une présence importante et préjudiciable dans la politique de leur pays. Silvio Berlusconi, par exemple, est devenu président du Conseil des ministres italien pour la première fois en 1994. Il a perdu sa majorité au gouvernement en moins d’un an, mais s’est ensuite rapidement rétabli, dominant la politique de la Botte pendant les deux décennies suivantes. De même, Jaroslaw Kaczynski. Nommé à la tête du gouvernement polonais en 2006, il n’a pas été maintenu au pouvoir en 2007 et est resté dans l’opposition pendant la décennie suivante. Mais son parti est revenu aux affaires en 2015 et, depuis, il n’a cessé de malmener les institutions démocratiques du pays.
Il y a donc de quoi s’inquiéter, tant pour l’élection que pour ses conséquences. Malgré tout, la principale leçon que je tire du contexte international est inspirante : après quatre années au cours desquelles les Etats-Unis se sont montrés sous leur jour le moins flatteur, les Américains pourraient bientôt défier les tendances mondiales. Et si tel était le cas, une nouvelle administration pourrait enfin contribuer à mener la lutte internationale contre les forces montantes de l’illibéralisme.
Yascha Mounk, politologue et chercheur à Harvard, né en Allemagne et naturalisé américain, spécialiste des populismes.
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