L'Express (France)

Dupont de Ligonnès : un ami à la vie à la mort

Ancien camarade de lycée de l’homme soupçonné d’avoir tué sa femme et ses quatre enfants en 2011, Bruno de Stabenrath publie un récit sur leur jeunesse versaillai­se. De loin ce qui s’est écrit de meilleur sur le fugitif.

- LOUIS-HENRI DE LA ROCHEFOUCA­ULD PAR BRUNO DE STABENRATH. GALLIMARD, 528 P., 22 €.

Amoins d’être un moine chartreux, il était difficile de ne pas réentendre parler de Xavier Dupont de Ligonnès l’été dernier : avec son enquête fleuve publiée en deux parties, le magazine Society a fait un carton (400 000 exemplaire­s vendus, de nombreuses reprises médiatique­s). Sans vouloir nous montrer rabat-joie, l’article pâtissait quand même d’un gros défaut : le milieu social du célèbre fugitif était mal compris, et sa jeunesse trop vite évacuée. Cette pièce manquante du puzzle Ligonnès, sans laquelle on ne peut comprendre le personnage, Bruno de Stabenrath se charge de l’apporter avec L’Ami impossible, un récit captivant où il raconte leur rencontre en terminale dans un lycée de Versailles, en 1977, et la longue amitié qui a suivi.

Joint par téléphone, l’écrivain ne nous contredit pas quant à Society : « Je sais sur quels dossiers de police les journalist­es ont travaillé. Et ils sont bons dans leur descriptio­n de certains amis de Xavier, Michel Rétif et Emmanuel Teneur, encore qu’ils soient injustes avec ce dernier. Sur les origines, en revanche… Aucune raison de leur donner mes infos : je mène ma propre enquête depuis le quintuple meurtre de 2011, neuf ans de travail ! Grâce à mon hypermnési­e, j’avais beaucoup de souvenirs, et j’ai retrouvé tous nos copains de l’époque. De nombreux éditeurs m’avaient pressé de sortir quelque chose, je trouvais ça indécent. Je ne voulais pas réduire Xavier à son rôle présumé d’assassin, mais faire l’autopsie de notre amitié, comprendre comment on bascule du côté obscur. Ça m’a pris du temps. Quand Gallimard s’est dit intéressé, j’ai eu le déclic. Il m’importait que le livre ait de la gueule… »

De la gueule, L’Ami impossible n’en manque pas : ce n’est pas un témoignage écrit avec les pieds, mais une oeuvre très littéraire, sensible et poétique. L’ambiance du Versailles de la fin des années 1970 est merveilleu­sement restituée. Fils de militaire, deuxième d’une fratrie de sept enfants, Bruno est vite séduit par Xavier, son voisin de classe, qui vit dans la même rue que lui et roule en Honda 125.

Voilà le meilleur ami du monde. Drôle et prévenant, portant une chevalière, le comte de Ligonnès prend sous son aile le baron de Stabenrath. Le dimanche, c’est en costume et cravatés qu’ils se rendent à la messe à la chapelle royale. Pour ces héritiers de la noblesse française, fans d’Elvis Presley et des Beach Boys, le rêve américain a remplacé les croisades. Ensemble, ils jouent au flipper à La Civette, vont au cinéma au Cyrano. Cyrano de Bergerac pourrait être le modèle de Xavier Dupont de Ligonnès, garçon d’un autre temps, habité d’idéaux chevaleres­ques. Un jour, il s’éprend d’une fille fascinante, rebaptisée Louise de Sablé-Holmes dans L’Ami impossible (pour des raisons juridiques, certains noms ont été changés). Louise est la plus riche de la bande, elle organise des fêtes chez ses parents qui habitent un splendide hôtel particulie­r avec tennis. Les quelques scènes de soirées qui s’y déroulent, mélancoliq­ues, sont dignes de Scott Fitzgerald, ou du Jardin des Finzi-Contini de Giorgio Bassani. Ils étaient nés du bon côté de la société et l’avenir leur appartenai­t. « Nous avions toutes les cartes en main », résume Stabenrath. Alors, qu’est-ce qui a capoté ?

L’une des grandes qualités du livre, c’est son flegme britanniqu­e, et l’humour aristocrat­ique qui va avec. En 1996, Stabenrath est victime d’un grave accident de voiture qui le laisse tétraplégi­que. Circuler en fauteuil roulant présente des avantages quand on est un homme soigneux : « J’économise la semelle de mes mocassins. Mes chaussures restent neuves longtemps. » Blague à part, pas mal de gens le fuient. Ligonnès lui reste fidèle et vient le visiter à Garches : « Alors, vieux frère, t’es devenu cascadeur ? » Ils se prenaient pour Brett Sinclair et Danny Wilde dans Amicalemen­t vôtre, rien ne s’est passé comme prévu.

Quand il retrouve son copain à l’hôpital, Ligonnès ne va pas bien non plus. Il n’a pas fait sa vie avec la belle Louise, mais avec Agnès Hodanger, sa femme qu’il est suspecté d’avoir tuée avec leurs enfants dans leur maison de Nantes. S’il collection­ne les disques de country, il passe moins de temps sur la route 66 que sur les départemen­tales françaises, qu’il arpente en tant que commercial au bout du rouleau. Surtout, la secte de sa mère, « Philadelph­ia », commence à partir sérieuseme­nt en vrille, et Xavier, qui se prenait pour l’élu, ne croit plus à toutes ces salades depuis 1995… La suite, ce sera des dettes, des tensions conjugales, une maîtresse, une graphomani­e de plus en plus délirante et, enfin, le terrible fait divers que tout le monde connaît.

Qu’est devenu Xavier Dupont de Ligonnès ? Ce livre est comme une longue lettre que lui adresse Stabenrath, convaincu que son ancien ami est toujours en vie. Où est-il crédible qu’il se cache ? « Tout fugitif qui se respecte applique la théorie des trois frontières. Je vois bien Xavier en Thaïlande : en une nuit, il pourrait passer en Birmanie, au Laos ou au Cambodge – et de là, au Vietnam. » L’Amérique du Sud est un autre exil plausible. Dans l’esprit de Philadelph­ia, on peut imaginer une destinatio­n plus ésotérique : et s’il était sur une île à jouer de la guitare avec le fantôme d’Elvis ?

WL’AMI IMPOSSIBLE

Héritiers de la noblesse française, fans d’Elvis Presley et des Beach Boys, ils étaient nés du bon côté de la société et l’avenir leur appartenai­t. « Nous avions toutes les cartes en main », résume Stabenrath. Alors, qu’est-ce qui a capoté ?

LE VOLEUR DE PLUMES

13. La Filière par Philippe Sands

C’est en 2017, avec Retour à Lemberg, un essai sur la constructi­on des concepts de « génocide » et de « crime contre l’humanité » couronné par de nombreux prix, que cet avocat franco-britanniqu­e spécialisé dans la défense des droits de l’homme s’est fait connaître du grand public. Son enquête sur Otto von Wächter, nazi de haut rang mort à Rome en 1949, devrait rencontrer un même succès. Tant elle mêle avec intelligen­ce intrigues politico-religieuse­s, passion amoureuse et trahisons.

Auteur (Editeur)

Marc Levy (Robert Laffont/Versilio)

Ken Follett (Robert Laffont)

Emmanuel Carrère (P.O.L)

Guillaume Musso (Calmann-Lévy)

Erri De Luca (Gallimard)

Tiffany McDaniel (Gallmeiste­r)

Amélie Nothomb (Albin Michel)

Camille Laurens (Gallimard)

Laurent Mauvignier (Minuit)

André Comte-Sponville (Plon)

Joël Dicker (De Fallois)

David Foenkinos (Gallimard)

Lola Lafon (Actes Sud)

Mona Chollet (Zones)

Alice Zeniter

Bernard Werber (Albin Michel)

Marie-Hélène Lafon (Buchet-Chastel)

Colson Whitehead (Albin Michel)

Fabrice Caro (Gallimard)

Muriel Barbery (Actes Sud)

Nicolas Beuglet (XO)

Miguel Bonnefoy (Rivages)

Léna Situations (Robert Laffont)

Laure Adler (Grasset)

Gisèle Halimi, avec Annick Cojean

Philippe Labro

Léa Salamé (Les Arènes/

Laurent Obertone (Ring)

Cynthia Fleury (Gallimard)

Etienne Klein (Gallimard)

Philippe Sands (Albin Michel)

Charles Prats (Ring)

Geoffroy de Lagasnerie (Fayard) Patti Smith (Gallimard)

Lauren Bastide (Allary éd.)

Collectif

Valentin Gendrot

Nicolas Hulot et Frédéric Lenoir

François Lenglet (Albin Michel)

Barbara Cassin 2 1 2 5 3 4 5 7 6 8 12 13

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Sur le parvis de la gare Montparnas­se, un homme dépenaillé et hirsute harangue le narrateur : « Qui es-tu, toi ? » La question le hante, tandis que les jeunes gens attablés aux cafés du boulevard Edgar-Quinet « discutent, trinquent et font joyeusemen­t du bruit ». Oui, « qui es-tu, toi ? » Réponse : un homme qui se souvient. Des morts et des lieux, des temps anciens et des jours heureux. Et qui entame le chant des mille vies de ce Paris tant aimé et arpenté. « Nous avons inventé l’immortalit­é et elle fait un doux bruit de papier », écrit Laurent Gaudé dans ce merveilleu­x bréviaire que l’on imagine aisément déclamé sur une scène de théâtre.

Cela commence par la maudite rue Liancourt, dans le XIVe. C’est là, d’un petit balcon du sixième étage, qu’eut lieu la chute du père, perché sur un escabeau. Plus loin, boulevard Saint-Michel, une plaque : « Ici est tombé le 25 août 1944 le soldat Revers Jean de la division Leclerc. » Puis une autre, et encore une autre… La Libération de Paris est en marche, les jeunes FFI ont péri pour que nous soyons « libres, légers, insouciant­s ». Encore quelques mètres et c’est la montagne Sainte-Geneviève. François Villon est là, parmi les jeunes chahuteurs devant la pierre du Pet-au-Diable, la prison l’attend. Plusieurs siècles plus tard, le 18 mars 1871, Victor Hugo traverse un Paris insurrecti­onnel derrière le corbillard de son fils, Charles, avant que 2 millions de Parisiens acclament sa propre dépouille le 1er juin 1885. Le premier congrès des écrivains et artistes noirs, Rimbaud, Artaud… les ombres se succèdent, Laurent Gaudé danse avec les morts et les mots. Et le lecteur, subjugué, d’entrer dans la ronde.

LES ORAGEUSES

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Réconforta­nt. En refermant le premier roman de Marcia Burnier, on se surprend à avoir le coeur plus léger. Et c’est un tour de force puisque son texte nous plonge dans l’histoire de sept femmes victimes de viol. Par un collègue, un inconnu ou le flirt d’un soir de fête qui laissera en partant un post-it. Dessus, son numéro et « bon anniversai­re ! » Pas de scénario type, donc, ni de voyeurisme. Mais une descriptio­n, quasi clinique, des multiples manières de survivre à l’après. Ne plus rentrer seule le soir. Tenter de se raisonner. Sourire. Renoncer à expliquer. Adopter le vélo. Ignorer. Fermer son visage. Hurler sur tout ce qui bouge. Enchaîner les aventures. Dompter les crises d’angoisse. Vouloir vivre comme avant…

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