Kirk Wallace Johnson, Céline Debayle, Deon Meyer
héros. Celui de Josette n’est qu’un « zéro », qui « rate les marches, et le reste ». La gamine résume : « L’un boit du thé de Chine, l’autre du vin au comptoir. »
Mais elle « aime tant et trop » ce paternel foutraque, « funambule survolant la vie, oublieux des horaires et des bienséances », ce « cueilleur d’étoiles » aux mains poilues, qui lui manque tellement – quand bien même il l’amenait dans les bouges mal famés de la cité phocéenne et semblait fricoter avec la pègre locale. Au gré des souvenirs de Josette « la brunette », Céline Debayle fait coup double : elle restitue un amour filial inconditionnel, intemporel, bouleversant, tout en ressuscitant avec tendresse cette France de l’après-guerre qui « se remettait debout », à l’époque de la cigarette reine, des bouteilles consignées, du beurre à la coupe, « des bals à javas et des blagues à Toto, des tabliers d’écoliers et des opérettes de Luis Mariano ». L’émotion le dispute à la nostalgie, sans fausse note.
LA PROIE ✷✷✷✷✷
C’est un polar constitué de deux intrigues. Le corps d’un homme est retrouvé le long d’une voie ferrée, et il apparaît vite qu’il n’a pas sauté tout seul du Rovos, le train de luxe qui relie Le Cap à Pretoria. L’enquête est confiée au duo d’inspecteurs des « Hawks », la brigade d’élite d’Afrique du Sud, Benny Griessel et Vaughn Cupido, prompts à établir l’identité de la victime : un ex-membre de l’unité de protection des VIP, susceptible d’avoir eu vent de secrets d’Etat. Dans le même temps, à Bordeaux, un certain Daniel Darret – nom d’emprunt d’un ancien tueur à gages de la branche militaire de l’ANC – est contacté par un camarade aux abois pour une mission radicale : mettre un terme au règne décadent du président du pays.
Trois ans après le brillant récit postapocalyptique de L’Année du Lion, Deon Meyer renoue avec le genre et le personnage, celui de Griessel, qui l’ont rendu célèbre. Mais si son précédent roman mettait en exergue la probité nécessaire à la reconstruction d’une communauté, La Proie explore une autre thématique, complémentaire : les plaies qui infectent les démocraties modernes, tels la corruption des élites et le dévoiement des idéaux par ceux qui s’en portaient garants. Des évocations à peine voilées de l’actualité – l’ingérence de Poutine en Afrique, notamment – font de ce livre un grand polar politique. L’écriture, par la force de son rythme, est implacable, et l’enquête, minutieusement documentée, n’exclut pas les traits d’humour. Ainsi, la grande terreur de l’inspecteur Griessel, tout au long de ses investigations, c’est de se couvrir de ridicule en demandant la main de sa compagne. Un ouvrage rageur et humaniste.