Aux travailleurs, les sculpteurs reconnaissants
Dalou, Meunier, Rodin… Le musée Camille-Claudel, dans l’Aube, consacre une exposition aux maîtres de la statuaire qui, de la IIIe République aux années 1930, donnèrent leurs lettres de noblesse aux ouvriers anonymes en les représentant dans le bronze ou l
elles se réclament, prudemment, de l’idéal classique, loin du vécu de ceux d’en bas. Tout change à partir des années 1870, quand paysans, forgerons et terrassiers sont rendus tels que dans la vraie vie. Ces sujets sculptés, associés à des messages positifs, comme l’abondance, la terre nourricière et la paix, envahissent alors les squares et les jardins publics. Les paysans triomphent sur la première marche du podium, talonnés par les forgerons et les mineurs. Tous ces inconnus, ainsi qu’en témoignent les monuments aux morts érigés jusque dans les années 1920, vont incarner les forces vives du pays, au même titre que les soldats. Les projets de monuments, véritables hymnes au labeur, fleurissent. La plupart, trop complexes ou trop « politiques », demeureront à l’état d’ébauche, mais leur élaboration au long cours reste passionnante à explorer. Meunier, d’abord, s’attelle, à la fin des années 1880, à L’Industrie, premier relief de son Monument au travail, où il célèbre débardeurs, laboureurs et miniers. L’installation, qui verra le jour à Bruxelles en 1930, vingt-cinq ans après la disparition de l’artiste, ne sera finalement pas celle dont il rêvait à l’origine.
Après l’inauguration de son Triomphe de la République, place de la Nation, à Paris, en 1889, Dalou, quant à lui, entreprend un Monument aux ouvriers. Cette fois sans commanditaire ni financement. Il ne s’y penche qu’à ses heures perdues, au cours desquelles il part à la rencontre des travailleurs ordinaires : pêcheurs normands, forgerons de Toul et paysans franciliens. Le projet, dont on retrouvera, après sa disparition en 1902, une centaine d’esquisses, n’aboutira pas. Dans ces études exhumées post-mortem, l’historien de l’art Paul Vitry voyait « tout un peuple de travailleurs et d’artisans minuscules animés d’une vie grandiose ».
Et puis, il y a La Tour du travail d’Auguste Rodin, initialement destinée à L’Exposition universelle de 1900 et pensée comme une métaphore hélicoïdale du progrès, avec ses bas-reliefs déroulés en spirale sur le pilier central. Un brin mégalo, le sculpteur l’imagine haute de 130 mètres, avec ascenseur à la clef. Mais son dessein ne parviendra pas à son terme, même si les Bénédictions qui devaient surplomber l’édifice deviendront des oeuvres à part entière. Quand on s’appelle Rodin, rien ne meurt jamais…
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