L'Express (France)

L’expo philosopha­le, par Christophe Donner

-

C’est ce que j’ai essayé de faire en rentrant chez moi. Il s’avère que le site du muséum est une machine à rendre fou. C’est comme le socialisme : ça ne marche pas ! J’ai abandonné la partie avant de le devenir, fou. Ou socialiste. Et je me suis résolu, la mort dans l’âme, à téléphoner au service de presse de l’expo. Trois jours plus tard, de retour au musée, mon nom était sur toutes les listes, plus besoin de QR code, j’étais reçu comme un ministre de la Culture. Si on m’avait dit qu’en passant devant la billetteri­e fermée je ressentira­is tant de nostalgie, j’aurais été, dans le monde d’avant, encore plus aimable que je crois l’avoir été.

n plaçant la couture supérieure du masque juste sous les narines, la buée ne recouvre pas les lunettes, ça n’est pas simple, mais ça vaut la peine, car c’est magnifique, comme dans le ventre de la Terre, au fin fond des temps minéraux, on remonte des milliards d’années pour arriver dans l’atelier de ces cristaux de lumière, de formes recrachées par quelque colère géologique qui leur a fait traverser la croûte jusqu’au grattoir d’un chercheur d’or. Le dépaysemen­t est total et les mots sont scientifiq­ues, je les oublie aussitôt. Le sujet de l’expo, c’est le rapport entre la pierre à l’état brut et le bijou dont elle est l’objet.

A cet effet, toute une série de vitrines sont présentées, au sein desquelles sont disposées les pierres dans leur gangue, de marbre ou autre, on voit ce qu’elles deviennent quand elles sont extraites, taillées, polies, et finalement serties à l’intérieur d’une pièce de joaillerie. Au marché de la fascinatio­n, le bijou ne fait pas le poids. Mais la pierre est imprésenta­ble ; rien n’est plus ringard que ces tranches d’agate montées sur un socle, éclairées par-derrière, censées agrémenter une bibliothèq­ue. Les livres finiront par les avaler, et c’est tant mieux.

Ehacune des vitrines, celle de l’émeraude, du quartz, de l’aigue-marine ou de la turquoise, raconte le combat entre la matière et la main de celui qui la rend précieuse, parfois jusqu’au ridicule. La dureté de l’éternel contre la vanité du mortel. Et finalement, à ma grande surprise, le vainqueur s’appelle Jean Vendome. La dernière salle lui est dédiée. Elle montre comment le grand maître de la joaillerie est revenu à la pierre. Il ne l’a pas rendue précieuse à force de travail, il a accepté sa primauté, sa supériorit­é, il s’est mis à son service et, à partir de là, prodige paradoxal, il a créé comme personne avant lui, révolution­né comme jamais. Chacun de ses bijoux, extravagan­ts, audacieux, est un sommet d’humilité. Jean Vendome, c’est l’artiste au service du réel, celui qui en suspend sous nos yeux l’insaisissa­ble mystère. Une exposition complète lui est consacrée à l’Ecole des arts joailliers, au 31 de la rue Danielle-Casanova, pour ne pas dire place Vendôme, à Paris (Ier). Je vous en parlerai une prochaine fois.

CChristoph­e Donner, écrivain.

W

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France