Emmanuel Macron : l’autorité et « l’esprit de concret »
La deuxième vague de l’épidémie oblige le président à s’adapter, sur le fond de son idéologie comme sur sa pratique du pouvoir.
C’est l’histoire d’un tête-àqueue idéologique. Le candidat non seulement jeune mais inconnu des Français qui se présente en 2017 s’avance avec une image aux traits peu nombreux quoi qu’assez marqués. Emmanuel Macron brandit alors l’étendard de la liberté, sur le sujet qui est son terrain de prédilection, le champ économique et social, et au-delà. Le projet de la France, écrit-il dans son livre Révolution, est « celui d’une nation qui libère » ; « le rôle premier de l’Etat, ajoute-t-il, c’est de protéger la liberté de chacun face à la peur ». Mercredi soir, à la télévision, il remarque : « On s’était progressivement habitués à être une société d’individus libres. Nous sommes une nation de citoyens solidaires. » Autrement dit, la liberté, sa chère liberté, « se construit dans une nation de citoyens, entre citoyens, et elle ne se pense que dans cette relation solidaire ». « Nous ne sommes pas des nomades qui s’agrègent », précise-t-il en privé. La liberté à la mode Bedos (Nicolas), où chacun fait ce qui lui plaît, où chacun « vit à fond au risque de mourir », très peu pour lui.
« Nous sommes une nation », disait-il le 16 mars ; « nous sommes en train de réapprendre à être pleinement une nation », répète-t-il mercredi, deux jours avant l’assassinat de Samuel Paty. Cela vaut pour lui au premier chef, si l’on peut dire. Il le reconnaît, il est amené à expliciter une idée de la nation qu’il n’avait jamais mise en avant jusqu’alors. Emmanuel Macron évoque « un aggiornamento », sur le terrain régalien. Lui qui se moquait pendant la dernière campagne – on s’en souvient – des « candidats à la succession de Poincaré et de De Gaulle [qui] s’intéressent aux menus scolaires, à la longueur des tenues vestimentaires », doit bien désormais se pencher, comme dans son discours fondateur des Mureaux le 2 octobre, sur « les menus confessionnels » et « les horaires des piscines ». Il revient sur sa conception de la nation, et ce n’est pas neutre lorsque se profile une élection présidentielle, et que les soutiens électoraux au dernier jour du mandat n’afficheront pas tout à fait le même profil idéologique que ceux du premier jour.
Emmanuel Macron voudrait tout de même rester fidèle à son ADN politique. Il n’a pas oublié ce que le sociologue Alain Touraine écrivait de lui en 2017, se félicitant que le nouveau président insiste sur l’importance de la responsabilité de
chacun et du rôle de tous « pour recréer des acteurs sociaux, des idées sociales, des combats et des débats sociaux ». Aujourd’hui, le chef de l’Etat rêve de « retrouver le chemin d’actions communes qui ont fait la République ». Ce qui signifie, face à la crise, inventer ou réinventer des formes de solidarité partagée face à la montée des individualismes ; par le sanitaire, redonner un sentiment d’appartenance à la nation, « une nation plus résiliente », a-t-il martelé à deux reprises, sur TF1 et France 2.
Il rêve de « retrouver le chemin d’actions communes qui ont fait la République »
C’est l’histoire d’un tête-à-queue institutionnel. Celui qui s’est fait élire en soulignant, dans le magazine Le 1, le rôle d’un « absent » dans la politique française, à savoir « la figure du roi, dont [je] pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort », est à présent obligé de demander à ses concitoyens, d’« aérer régulièrement » et de « se laver les mains ». Où est la bonne place pour un président de la République ? Face à une crise exceptionnelle comme celle du Covid, quel est le bon niveau d’expression ? Chaque fois, Emmanuel Macron se pose la question. En mars, il choisit la solennité et la verticalité d’une allocution. En octobre, il accorde une interview avec un principe ainsi énoncé en petit comité : « Il faut accepter de descendre dans l’intimité de la vie. »
En 2015, il écrivait : « Après de Gaulle, la normalisation de la figure présidentielle a réinstallé un siège vide au coeur de la vie politique. Pourtant, ce qu’on attend du président de la République, c’est qu’il occupe cette fonction. » Pour que l’évocation du quotidien ne nuise pas à la solennité, Emmanuel Macron entend montrer qu’il conserve sa capacité à trancher : hier il avait décrété le confinement sans employer le terme, cette fois il instaure le couvre-feu et le dit. « L’esprit de concret doit être compatible avec l’autorité », telle est sa nouvelle ligne de conduite.
Cette crise n’attaque pas seulement les corps des hommes et l’économie du pays,