Les élus, les sages et le peuple
Après l’attentat du 16 octobre, le ton monte contre le Conseil constitutionnel.
Le Conseil constitutionnel, voilà l’ennemi ? Le 2 octobre déjà, en s’exprimant sur le séparatisme, Emmanuel Macron avait lancé une mise en garde perçue par les seuls intéressés : « Nos juges constitutionnels sont les meilleurs experts de notre droit, mais ils vivent dans la même société que nous. » L’Intérieur considère que deux décisions récentes des sages compliquent démesurément sa tâche : les censures des propositions de loi Avia sur la lutte contre les propos haineux sur Internet et Braun-Pivet sur les mesures de sûreté pour les terroristes sortant de prison. Le gouvernement entend réaborder ces deux sujets, peut-être en passant par des projets de loi qui, contrairement aux propositions de loi, sont soumis préalablement au conseil d’Etat et sont donc censés être davantage bordés juridiquement. Dans l’opposition, Xavier Bertrand n’est pas loin de penser la même chose : pour lui, le Conseil constitutionnel privilégie désormais plus la liberté que la sécurité dans son interprétation des textes.
Si le diagnostic est semblable, les réponses divergent. Puisque les seuls textes qui échappent à la vigilance elle bouscule jusqu’à l’esprit de notre loi fondamentale. « Je resterai le maître des horloges, il faudra vous y habituer », lançait le candidat Macron en avril 2017, sur France 2. « Il y a un maître des horloges qui s’appelle le Covid », est-il maintenant obligé de concéder. La fin de ce quinquennat dépend davantage du bon vouloir d’un virus que de la volonté du chef de l’Etat – une fois encore, le politique, sans que l’on puisse vraiment le lui reprocher, est contraint de reconnaître une forme d’impuissance, en tout cas dans la maîtrise de l’agenda.
Jusqu’à quel point un président de la République peut-il modifier, corriger ou élargir ce qui faisait sa marque de fabrique, des sages sont ceux qui révisent la Constitution elle-même, des voix s’élèvent à droite pour amender la loi fondamentale. Le 14 octobre, deux jours avant l’attentat contre le professeur de Conflans-Sainte-Honorine, la commission des lois du Sénat a adopté une proposition de loi constitutionnelle, déposée notamment par Philippe Bas (LR), Bruno Retailleau (LR) et Hervé Marseille (Union centriste). Elle vise à ajouter, à l’article 1er de la Constitution, un alinéa stipulant que « nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune » ; et, à l’article 4, le mot « laïcité ». Objectif : que celle-ci s’impose plus facilement au législateur et aux sages. Xavier Bertrand préconise – comme Eric Ciotti –
« si l’on veut faire bloc », le recours au référendum. Des députés LR, de leur côté, proposent un référendum d’initiative populaire sur l’expulsion des étrangers délinquants – mais le Conseil constitutionnel aurait, ici, à valider la procédure. Plutôt que des mots, des actes : le gouvernement n’entend pas suivre l’opposition sur ce terrain. Mais le débat est lancé.
WWson identité ? Le passé récent montre la difficulté de l’entreprise : Nicolas Sarkozy et François Hollande ont peiné à rectifier la perception que les Français avaient d’eux. Or c’est aussi cela, le fil rouge du quinquennat d’Emmanuel Macron. A l’évidence, le chef de l’Etat est attaché à quelques marqueurs destinés à montrer qu’il tient le fil de sa pensée, que sa cohérence résiste à la confrontation avec le réel. Non, il ne cédera pas aux demandes de revalorisation des minima sociaux, parce qu’il estime que c’est un jeu sans fin qui tue l’idée de la sortie de la pauvreté par le retour à l’activité. Mais oui, le macronisme des origines doit s’amender à l’épreuve du pouvoir. C’est le prix de sa pérennité.