Le mirage des transports publics gratuits
Mesure phare de nouveaux édiles écologistes, la gratuité des transports publics se heurte au principe de réalité.
C’étaitlapromesseprincipale de sa campagne municipale. Michaël Delafosse, le maire (PS) de Montpellier, l’a mise en oeuvre début septembre, en offrant à quelque 470 000 habitants l’accès gratuit le week-end aux bus et tramways qui circulent dans sa métropole. « D’ici à trois ans, au plus tard, cette mesure sera aussi valable en semaine, confie l’élu à L’Express. Elle fera de nos transports publics une alternative attractive à la voiture, au bénéfice de la transition écologique. »
Les 35 villes françaises qui ont fait le choix de la gratuité Dunkerque
Bernay
Mayenne
Vitré
Niort
Calais
Libourne
Villeneuvesur-Lot
Châteaudun
Joigny
Issoudun
Châteauroux
Figeac
Cahors Gaillac
Castres
Selon l’Observatoire des villes du transport gratuit, une bonne trentaine d’agglomérations françaises proposent déjà ce dispositif – Niort, Châteauroux, Aubagne, Libourne, Dunkerque, Calais… Mais la métropole montpelliéraine est de loin la plus grande à le déployer. « Dans l’intérêt général, il est temps d’appliquer ce modèle sur tout le territoire », réclame Bruno Cialdella, retraité grenoblois et membre de la Coordination nationale des collectifs pour la gratuité des transports publics.
Mais comment généraliser ce système en assurant une qualité de service
NeuvesMaisons
Nyons
Gap
Montpellier*
Pont-SainteMaxence
Senlis Chantilly
Puteaux
Aubagne
Levallois Crépy-enValois
Porto Vecchio
Péronne
Noyon
Compiègne suffisante sans plomber les finances des collectivités ? « Jusqu’ici, les villes qui ont rendu leurs transports totalement gratuits avaient un point commun : leur réseau de bus souffrait d’être sous-utilisé et leurs recettes de billetterie étaient particulièrement faibles », note Michèle Vullien, ancienne sénatrice (Union centriste) du Rhône, dans un rapport consacré au sujet. Le virage de la gratuité était donc moins
A Paris, la mesure impliquerait une hausse des impôts de 500 euros par ménage francilien
brutal, car le manque à gagner moins lourd à absorber. Ce passage au non-payant est plus délicat à envisager dans les grandes métropoles dotées de modes de transports plus lourds, à la fréquentation élevée, parfois proche de la saturation. Un temps envisagée à Paris, l’idée de gratuité totale y a été abandonnée l’an dernier après qu’un rapport a analysé son impact financier. Selon les experts, la mesure devrait obligatoirement combler un trou de 2,5 milliards d’euros par an, soit une hausse des impôts de 500 euros en moyenne pour chaque ménage francilien… « Inimaginable alors que les transports publics en Ile-deFrance sont déjà très subventionnés et que les usagers ne paient que 20 % du coût réel d’un ticket de métro », renchérit l’économiste Christian Saint-Etienne.
En province, l’équation est tout aussi complexe. « Nous allons devoir nous montrer innovants », concède le maire de Montpellier, sans pour autant donner de détails sur ses plans. Tant que la gratuité se limitera aux week-ends, le manque à gagner ne dépassera pas 2 millions d’euros par an. Mais, lorsqu’elle deviendra complète, d’ici à deux ou trois ans, c’est 24 millions d’euros qu’il faudra trouver pour équilibrer les comptes. Sans parler des investissements qui seront indispensables pour maintenir la qualité de service. « Quand les transports deviennent gratuits, les usagers affluent au début, mais la fréquentation finit par rechuter si l’offre ne s’améliore pas », fait observer le Groupement des autorités responsables de transport.
Patrice Vergriete (divers gauche), maire et président de la communauté urbaine de Dunkerque, ne regrette pourtant pas d’avoir rendu les lignes de bus gratuites dans son agglomération de 200 000 habitants, voilà deux ans. « Nous avons doublé notre fréquentation et relevé un triple défi, écologique, social et économique », s’enthousiasme l’élu.
Parmi les nouveaux usagers, il compte non seulement un quart d’automobilistes, qui laissent désormais régulièrement leur voiture au garage pour prendre le bus, mais également un tiers de passagers qui bougeaient rarement de chez eux. « Cette rupture a aussi été l’occasion de réaménager le centre-ville, en réaffectant une partie de la surface occupée par les parkings au profit des habitants et des commerces, pour un meilleur rendement foncier. Au final, la gratuité des transports enrichit notre territoire », conclut-il.
L’opération déséquilibre toutefois son budget. « Les investissements sont très concentrés sur les transports, cela restreint les perspectives d’allocation à d’autres équipements », a averti la cour régionale des comptes. De fait, après avoir dépensé 60 millions d’euros pour préparer le réseau à supporter un doublement de l’affluence, Dunkerque doit désormais trouver chaque année 17 millions d’euros pour éponger le coût de la gratuité. Le maire a économisé près de 10 millions d’euros par an en tirant un trait sur le projet de l’Arena, une salle de sport et de spectacles, initié par son prédécesseur. Mais il est aussi forcé de tailler dans les subventions et la masse salariale. Les bus gratuits ne sont donc pas une bonne affaire pour tout le monde.
Si le pari est périlleux, il a malgré tout le mérite de remettre à plat la question du financement des transports. Car, même lorsque ceux-ci sont payants, les tarifs sont très loin de couvrir les frais réels. Alors que les coûts d’exploitation ont flambé de près de 50 % au cours des quinze dernières années, la hausse des tarifs est souvent restée très limitée pour des raisons sociales – ou électorales. « Pour faire simple, quand un usager paie son ticket de bus 2 euros, le coût réel du trajet oscille entre 8 et 10 euros », résume Guillaume Beitz, directeur général adjoint du pôle mobilités au cabinet Espelia. Afin d’équilibrer les comptes, les autorités organisatrices de mobilités, comme on les appelle, s’en remettent aux subventions des collectivités ainsi qu’au versement mobilité, une taxe versée par les entreprises de plus de 10 salariés. Créé dans les années 1970, cet impôt, qui pourrait représenter 8 milliards d’euros cette année, a déjà atteint son plafond légal dans la plupart des grandes agglomérations. Difficile d’en demander plus…
Des alternatives sont donc à l’étude. L’idée de taxer les plus-values immobilières liées à la proximité d’infrastructures de transport fait son chemin. En revanche, celle de mettre les automobilistes à contribution en instaurant des péages urbains – jusqu’à 2,50 euros pour entrer en voiture dans une agglomération – est rangée dans les cartons. Cette éventualité a été retirée au dernier moment du projet de loi sur les mobilités, promulguée l’an dernier. Officiellement, « pour ne pas accentuer les fractures entre territoires », s’était alors justifié le ministère des Transports, guère pressé de se mettre à dos les automobilistes.
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