Le coronavirus va-t-il enterrer le cinéma britannique?
Outre-Manche, les salles ferment par dizaines. Et font craindre la disparition du 7e art, comme celle, en son temps, du music-hall.
C’est une salle comme on n’en fait plus. Ses sièges rouges avec petit cendrier dans l’accoudoir, ses lambris dorés, son épais rideau de velours écarlate encadrant l’écran et son balcon en rotonde nous rappellent qu’elle ouvrit ses portes avant la Première Guerre mondiale. A deux pas du métro de Notting Hill, à Londres, le Gate a éduqué et enchanté des générations de Londoniens. Tout comme le Ritzy, à Brixton, le Cameo, à Edimbourg et le Phoenix, à Oxford : autant de noms mythiques pour les cinéphiles. Leur fermeture soudaine, le 9 octobre, ainsi que celle des 26 autres cinémas de la chaîne de salles historiques Picturehouse, a fait frémir l’industrie du 7e art en Grande-Bretagne.
Si l’on y ajoute les portes désormais closes des 128 multiplexes Cineworld annoncées la même semaine, avec, à la clef, le licenciement de près de 6 000 employés, on n’hésite plus à se demander, comme le critique du Guardian Peter Bradshaw, si le coronavirus ne va pas lentement mais sûrement tuer le cinéma outreManche. « Assistons-nous, comme avec la fin du music-hall, à un changement d’époque dans lequel le cinéma, en tant que lieu d’expériences collectives, comprennent plus rien. On peut se rendre de Mayence à Cologne, mais pas de Cologne à Mayence ! », déplore Armin Laschet, président de la puissante région de Rhénaniedu-Nord-Westphalie, autre successeur potentiel de Merkel à la chancellerie.
L’absence de compromis entre les Länder l’a poussée à s’adresser directement à la population. Forte de son capital sympathie, elle reste très écoutée. « Restez à la maison ! » déclare-t-elle dans son podcast vidéo hebdomadaire. Autrement dit : n’écoutez pas les autorités locales lorsqu’elle sont trop permissives…. appartiendra bientôt aux albums de souvenirs ? » Ce qui semblait absurde devient une affligeante prophétie.
Loin semble le temps de l’aprèsguerre où les Britanniques étaient les plus grands amateurs de cinéma, devant les Français et les Américains, avec 29 films vus par habitant en 1950 – contre 20 aux Etats-Unis et 9 en France. Aujourd’hui, l’habitude s’est perdue, sauf pour les grands films populaires et hollywoodiens, seuls pourvoyeurs de recettes au box-office. Et c’est justement le report de la sortie du nouveau James Bond au mois d’avril 2021 qui a poussé Cineworld à fermer ses multiplexes. Du moins, c’est la raison avancée par l’exploitant, qui a aussi décidé de baisser le rideau de ses 556 cinémas aux Etats-Unis. Au total, 40 000 emplois sont menacés dans les deux pays.
La perspective d’une réouverture d’ici à six mois ou un an semble ténue. Déjà, le ministre de l’Economie, Rishi Sunak, a conseillé aux musiciens, très affectés par la pandémie et le manque d’aides publiques, de se former à d’autres métiers. Va-t-il ensuite dire aux cinéphiles de se trouver une autre passion dans la vie ?
Un appel qui sonne néanmoins comme un aveu de faiblesse. « Je ne sais pas si le civisme suffira à freiner la nouvelle vague, craint Frank Baasner. Il faudra peut-être en venir à des mesures plus contraignantes, comme en France. » Une vision d’horreur pour Angela Merkel, très attachée aux libertés individuelles. Dans cette crise, la chancelière fait régulièrement référence à son passé en Allemagne de l’Est. A l’occasion des trente ans de la réunification du pays, elle a confié à la presse : « Toutes ces restrictions me rappellent mon enfance. »
WW
n cette fin septembre, les nuages gris s’amoncellent au-dessus de Williamsport, une ville de 28 000 habitants au coeur de la Pennsylvanie rurale. Sur le parking quasi vide de l’entreprise ShopVac, Tony Mussare, cravate noire et costume gris, fait les cent pas. « Voilà dix jours, vous ne trouviez pas une place libre ici », souffle l’élu local en passant la main sur son crâne dégarni. Mais le 15 septembre dernier, ce géant de la fabrication d’aspirateurs, implanté à Williamsport depuis 1969, a déposé le bilan. Sans préavis. Les 427 employés du siège ont eu trois jours pour quitter les lieux. Au sol, une pancarte jaune, « Merci de nous avoir prévenus », vestige d’une brève manifestation
Ede colère, est balayée au gré du vent. Le Covid-19 a mis le dernier clou sur le cercueil de Shop-Vac, en perte de vitesse depuis plusieurs années.
« C’est un désastre, car le confinement avait déjà détruit nos petits commerces, nos restaurants et nos bars, poursuit Tony Mussare. La fermeture de Shop-Vac met en péril l’avenir de notre ville. » A Williamsport, le chômage est passé de 4 %, en début d’année, à 11 % aujourd’hui. « C’est injuste pour lui, mais le président va certainement payer la facture dans les urnes », redoute l’élu républicain, qui continue d’espérer une reprise de ShopVac par un grand groupe. Le miracle, hélas, se fait attendre…
Shop-Vac est le dernier nom d’une longue liste d’entreprises rayées de la carte. Depuis quarante ans, la Pennsylvanie vit un lent déclin, rythmé par les délocalisations et les fermetures de mines. En 2016, avec son programme « America First », Donald Trump avait promis de ramener ces emplois aux Etats-Unis en brisant les traités internationaux et les lois environnementales. « Trump a parlé des jours de
décolle de nouveau, rassure-t-il, en appuyant la fin de chaque phrase. Plus question de s’aplatir devant la Chine, la reddition économique appartient au passé. » Entre des encouragements aux travailleurs des mines de charbon et une ode à la fracturation hydraulique, Mike Pence martèle le slogan préféré du camp Trump : « Make Pennsylvania Prosper Again » – « Rendre sa prospérité à la Pennsylvanie ».
Dans l’assemblée, Derek Smith, carrure de quarterback et regard bleu perçant, hoche la tête à chaque affirmation. A 34 ans, cet investisseur dans l’immobilier est revenu vivre dans sa région natale, attiré par la bonne santé de l’économie. « Avant le Covid, les affaires ne s’étaient jamais aussi bien portées ici, et Trump y est pour beaucoup avec ses baisses d’impôts », assure le jeune homme au crâne rasé. Surtout, cet ancien militaire, engagé au Moyen-Orient pendant six ans, veut croire qu’avec l’administration Trump, la Pennsylvanie pourra continuer d’exploiter au maximum ses gigantesques ressources naturelles. L’industrie du gaz naturel, en particulier, n’a jamais été aussi florissante. Limités par des normes environnementales sous la présidence Obama, les forages par fracturation hydraulique battent des records en Pennsylvanie. Désastre écologique pour certains, le gaz de schiste représente surtout une manne pour la région.
La petite localité de Butler, nichée dans les vallées boisées de l’ouest de l’Etat, connaît le sujet : elle compte 321 puits de forage de gaz pour 13 000 habitants. Ici, la fracturation hydraulique est au coeur de toutes les discussions… et de toutes les divisions. « Le fracking, c’est génial, tout simplement, s’enthousiasme Trish Lindsay, 64 ans et vice-présidente des républicains de Butler. J’ai un puits de forage sur mon terrain et, à part l’eau du robinet qui sent parfois l’ail, tout va bien. L’entreprise nous verse des centaines de dollars chaque mois et nous fournit en gaz prier, mais chercher de l’eau potable. Fred McIntyre, barbe blanche et tee-shirt noir, mène les opérations. Chaque famille a droit à 25 litres d’eau par semaine, embarqués par bidons à l’arrière des pick-up. « Ça dure depuis neuf ans, depuis qu’ils ont commencé à creuser et à polluer notre eau », râle Fred en sortant une palette de l’église.
En 2011, l’entreprise Rex Energy a foré 32 puits de gaz à moins de 5 kilomètres de leurs habitations. « Dès les premiers jours, l’eau du robinet s’est troublée et a pris une odeur d’oeuf pourri, raconte Kris, petite rousse d’une quarantaine d’années. Nos animaux ont commencé à développer des cancers et à mourir. Puis ce fut au tour des humains… » Un voisin intervient : « Ici, les gens ne déménagent pas, ils meurent. » En 2018, après une menace de procès, l’entreprise a dédommagé chaque famille à hauteur de 15 000 euros, sans cesser de pratiquer le fracking ni remédier au problème de la qualité de l’eau. Désormais, le quartier est cerné par 69 puits. Pour ce groupe de résidents locaux, entendre les deux candidats défendre la fracturation hydraulique ne passe pas. « Démocrates, républicains, ils sont tous dans le même sac, grimace Fred, vétéran de l’armée américaine. Ni Trump ni Biden ne pensent jamais à moi. Ici, on se débrouille seuls. Je ne vois aucune raison de voter pour ces mecs-là. »
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