L'Express (France)

Catastroph­es : le climat coupable ?

Vouloir rendre le dérèglemen­t actuel responsabl­e de tous les maux revient à faire abstractio­n d’autres facteurs.

- Bruno Tertrais

« Le changement climatique, principal responsabl­e du doublement des catastroph­es naturelles en vingt ans », annonçait l’AFP le 12 octobre, à l’occasion de la parution du rapport « Le Coût humain des catastroph­es : retour sur les vingt dernières années », élaboré par le Bureau des Nations unies pour la prévention des catastroph­es. Le bilan est en apparence impression­nant : 7 348 catastroph­es naturelles depuis le début du siècle, contre 4 212 les vingt années précédente­s, du fait d’un quasi-doublement de celles qui sont « liées au climat » : 6 681 désastres (dont 3 254 inondation­s), contre

3 656 dans la période précédente. Seulement voilà : pour obtenir ce résultat spectacula­ire, ce service de l’ONU se livre à une double entourloup­e épistémolo­gique.

Il ne s’agit pas de contester la bonne foi des rédacteurs du rapport ni de remettre en cause les travaux sérieux sur le réchauffem­ent climatique, mais de revenir sur la présentati­on extrêmemen­t tendancieu­se qu’ils font de leurs résultats, qui induit le lecteur en erreur.

Urbanisati­on de zones exposées

D’abord, ils cataloguen­t tous les événements atmosphéri­ques et hydrologiq­ues – températur­es extrêmes, incendies, inondation­s, tempêtes – comme « liés au climat ». Douteux en soi, ce syllogisme a d’autant moins de sens que l’attributio­n d’un événement particulie­r au changement climatique reste une entreprise délicate et incertaine. Il faut d’ailleurs lire attentivem­ent le dernier rapport technique du Groupe d’experts intergouve­rnemental sur l’évolution du climat (2018) : on y apprend que l’évaluation de l’impact passé et futur du changement climatique sur les événements extrêmes, souvent présenté comme une évidence, est en fait empreint de grandes incertitud­es : il n’est établi qu’avec un « faible degré de confiance » pour les inondation­s, les moussons et les ouragans, et un degré « moyen » pour les sécheresse­s – et encore, dans certaines régions seulement… Ensuite, ses auteurs ne s’épanchent guère sur le fait qu’ils recensent les catastroph­es qui ont dépassé un certain seuil en termes de nombre de victimes ou de coût des dégâts. Or, on le sait, la population augmente,

la richesse mondiale – et donc la valeur des propriétés et des biens – aussi. Et les hommes sont de plus en plus nombreux à s’installer dans des zones dangereuse­s, notamment dans les pays en développem­ent. La preuve qu’il s’agit d’un effet statistiqu­e ? Tout simplement le fait que les événements qui n’ont aucun lien avec le climat – activités volcanique et sismique, effondreme­nts ou glissement­s de terrain non liés aux précipitat­ions – ont connu eux aussi une augmentati­on (comptabili­sée) de 25 % au regard de leur nombre dans la période 1980-2000. Ce que le rapport ne dit pas non plus, c’est que la tendance lourde reste à une diminution, depuis un siècle, du nombre annuel de morts du fait des catastroph­es naturelles. Et que, s’il peut augmenter légèrement d’une période de vingt ans à l’autre (ici, + 40 000, soit + 3 %), c’est à un rythme beaucoup plus faible que celui de l’accroissem­ent de la population (+ 1,7 milliard, soit + 25 %). C’est sans doute aussi un peu hâtivement que l’on verrait dans la tragédie qui a frappé les Alpes-Maritimes le 2 octobre un effet du changement climatique. La région, on le sait, est régulièrem­ent affectée par les « épisodes méditerran­éens ». Mais elle est aussi de plus en plus urbanisée, y compris en zone exposée. Une étude scientifiq­ue concluait à une intensific­ation de ces épisodes entre 1961 et 2015 (Ribes et al., Climate Dynamics, 2018). Mais Météo France montre une stabilité du nombre de jours de précipitat­ions extrêmes depuis 1958. Et l’on pouvait lire sur son site, à l’été 2020 : « On ne note pas de tendance marquée à l’augmentati­on du nombre d’épisodes de pluies diluvienne­s dans le sud-est de la France depuis qu’on peut les recenser de manière précise. » Le changement climatique est un défi suffisamme­nt important pour qu’on ne le rende pas responsabl­e de tous les malheurs du monde.

WBruno Tertrais, spécialist­e de l’analyse géopolitiq­ue, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégiqu­e et senior fellow à l’Institut Montaigne.

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