Le combat perdu des constructeurs auto français dans le haut de gamme
Depuis des décennies, Renault et Citroën tentent de se faire une place sur le segment premium, au côté des Allemands. Mais ils y ont surtout accumulé les échecs.
La séquence a tout d’une madeleine de Proust. Au goût sucré ou amer, suivant sa sensibilité politique. Le 7 mai 1995, un Jacques Chirac tout sourire, fenêtres grandes ouvertes, traverse Paris à l’arrière d’une Citroën CX Prestige. Le leader de la droite s’apprête à rejoindre la place de la Concorde où ses partisans se sont massés pour fêter sa victoire à la présidentielle. Une CX dont il s’était amouraché quand il était maire de Paris, et dans laquelle il continuera de rouler une fois à l’Elysée. Elle trône aujourd’hui au musée de Sarran, en Corrèze, dédié à l’homme d’Etat, décédé à l’automne 2019.
Si ce modèle haut de gamme de la marque aux chevrons a marqué l’histoire présidentielle, elle n’aura pas fait date dans l’histoire automobile. Et c’est malheureusement le cas de tous les modèles premium tricolores depuis la mythique DS de Citroën – sortie en 1955 – qui, vingt ans durant, rayonna sur la planète auto. Depuis cette parenthèse enchantée, le luxe automobile à la française se résume à une longue suite d’échecs. Difficile de ne pas évoquer la Vel Satis de Renault et son design improbable. « On a tout juste réussi à écouler 10 % du volume escompté, les pertes ont été abyssales », se rappelle un ancien de Renault. Pourtant, nos deux constructeurs nationaux s’échinent à repartir à l’assaut de ce marché devenu la chasse gardée des géants allemands, Audi, BMW, Mercedes. Et pour cause : si le segment du haut de gamme ne représente que 10 % des ventes mondiales, il pèse, selon les spécialistes, pour un tiers des profits de l’industrie automobile.
Si les marques hexagonales refusent de se résigner, c’est aussi, peut-être, en mémoire de leur glorieux passé. Dans les prémices de l’histoire de la voiture, elles étaient, en effet, du dernier chic. « Renault était en 1914 le fournisseur exclusif de la cour impériale de Russie, et jusqu’en 1939 la Reinastella, un 8 cylindres en ligne, faisait le bonheur de la grande bourgeoisie », raconte Jean-Pierre Corniou, directeur général adjoint de Sia Partners. Mais, en 1945, toutes les cartes sont rebattues. Afin de réindustrialiser la France, l’Etat lance le plan Pons. Un plan qui attribue à chacun des cinq constructeurs de l’époque (Citroën, Panhard, Peugeot, Renault, Simca) un segment de marché. Pour punir Renault de sa collaboration active avec l’ennemi, il est décidé de le déclasser en lui dédiant les petites citadines. Le haut de gamme ? Charge à Citroën de s’y atteler. Et la marque répondra aux attentes avec la DS. Il n’empêche. En coupant Renault dans son élan, l’Etat a commencé sans le savoir à enterrer les luxueuses berlines à la française.
En 1956, c’est une autre politique, fiscale cette fois-ci, qui va achever le travail. Nos compatriotes font la connaissance d’un nouvel impôt et d’un nouvel objet : la vignette. Une taxe basée sur la puissance des motorisations, qui disparaîtra en 2000, laissant le champ libre au fameux bonus-malus écologique. « Une fiscalité qui a dissuadé nombre de Français d’acheter des voitures puissantes, privant ainsi nos constructeurs d’un marché intérieur capable de soutenir leurs investissements, notamment dans la motorisation, le nerf de la guerre dans ce segment », précise Philippe Houchois, analyste chez Jefferies. Les chiffres sont, de fait, éloquents. Sur l’année 2018, seulement 19 % des voitures immatriculées en France étaient de « gamme moyenne supérieure » ou de « gamme supérieure », selon les chiffres du Comité des constructeurs français d’automobiles, alors que la moyenne européenne est de 32 %, ce chiffre grimpant à 38 % en Allemagne !
Mais la fiscalité n’explique pas tout : les industriels germaniques ont patiemment construit leur image, sans jamais dévier de leur route. Tout le contraire de leurs concurrents tricolores, qui ont toujours roulé en zigzag, persuadés qu’ils pouvaient faire des petites citadines d’entrée de gamme et du premium. « En termes d’image de marque auprès des consommateurs, l’exercice est presque impossible », souligne Flavien Neuvy, directeur de l’Observatoire Cetelem de l’automobile. C’est le constat qu’a fini par dresser Carlos Tavares, le président du groupe PSA Peugeot Citroën, en 2018, lorsqu’il a fait de la gamme DS une marque
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