L'Express (France)

L’homme est-il fait pour travailler ?

- JEAN-MARC DANIEL PAR JAMES SUZMAN. FRANÇOIS ROCHE

WORK. A HISTORY OF HOW WE SPEND OUR TIME

BLOOMSBURY, 464 P., 17,50 €. WWWW✷

Pourquoi l’homme travaille-t-il? La question peut sembler absurde, tant le travail est au centre de nos sociétés. Les économiste­s le définissen­t comme le temps et l’effort que nous dépensons pour satisfaire nos besoins et nos désirs. Ce faisant, ils éludent deux biais. Le premier est que la seule chose qui différenci­e souvent les loisirs du travail, c’est le contexte et le sens dans lequel s’opère la rémunérati­on : être payé ou bien payer pour travailler. Pour un trappeur, chasser le cerf est un travail ; pour un noble de l’Ancien Régime, c’était un loisir. Pour un consultant en relations publiques, se constituer un réseau de relations est un travail ; pour la plupart d’entre nous, se faire des amis est une joie. Le second biais est relatif à l’idée de « besoin ». Au-delà de l’énergie que nous consacrons à combler nos besoins vitaux (la nourriture, l’eau, la chaleur, l’amitié, la sécurité…), aucun concept universel ne définit la notion de « nécessité ». Elle se confond tellement étroitemen­t avec celle de « désir » qu’il est quasi impossible de séparer les deux. Pour certains, prendre un croissant avec son café est une nécessité, pour d’autres, il s’agit d’un luxe.

C’est sur ces réflexions que l’essayiste James Suzman, anthropolo­gue sudafricai­n, spécialist­e des Bochimans, ouvre son livre consacré à l’histoire du travail. Partant des peuples aborigènes d’Afrique du Sud et de Namibie, il nous livre une réflexion nourrie sur cette notion dans les sociétés humaines. Depuis des siècles, il est admis que l’homme travaille pour vivre et vit pour travailler. Dans la plupart des systèmes culturels et sociaux de la planète, l’oisiveté est un vice. Pour l’auteur, la définition la plus universell­e du travail, valable aussi bien pour les chasseurs-cueilleurs que pour les traders en produits dérivés, pourrait être celle-ci : consacrer de l’énergie et des efforts à atteindre un résultat ou un objectif. Depuis que les premiers êtres humains ont été capables d’élaborer des concepts et un langage, ils ont forgé l’idée de travail. Comme l’amour, la famille, la musique ou le deuil, le travail a toujours été présent dans la vie des hommes, et tous les anthropolo­gues l’ont rencontré, dans les civilisati­ons les plus anciennes.

Mais, pour Suzman, il importe de se demander pourquoi nous avons permis que le travail prenne autant de place dans nos vies. Le problème des chasseurs-cueilleurs a toujours été de lutter contre la rareté des ressources, et c’est la raison pour laquelle ils « travaillen­t » à se les procurer, sans chercher d’ailleurs à prélever davantage que ce qui est nécessaire à leurs besoins. Comment expliquer que, dans la culture d’abondance et de richesse qui est la nôtre, les hommes restent aussi inquiets de manquer et angoissés par la rareté ? Selon l’auteur, il faut convoquer les ressources de l’anthropolo­gie sociale pour répondre à cette question. Et nous replonger dans les modes de vie des sociétés dites « primitives » pour comprendre les ressorts secrets qui poussent l’homme à travailler.

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