L'Express (France)

Sous l’oeil de Pékin

La Chine veut dominer l’espace. Et se dote d’une capacité de télésurvei­llance du globe qui impression­ne.

- Stefan Barensky

algré le Covid-19 et surtout le confinemen­t de la région du Wuhan, où se situe l’un des pôles principaux de son industrie spatiale, la Chine domine largement les autres grandes puissances par le nombre de lancements effectués cette année. Avec 30 tirs enregistré­s du 1er janvier à la mi-octobre (dont quatre échecs), elle pourrait bien battre son record de l’année 2018 (39 lancements, dont un échec).

Alors que 11 des 25 lancements américains en 2020 ont servi au déploiemen­t de la constellat­ion Starlink de SpaceX pour l’Internet à haut débit, les Chinois, eux, ont consacré les principaux pas de tirs à l’observatio­n de la Terre : 30 satellites dédiés ont été placés sur orbite pour des opérateurs militaires, institutio­nnels civils ou privés. Deux de plus l’ont même été pour un opérateur étranger, l’argentin Satellogic.

MUn satellite d’observatio­n continue

L’un des tout derniers lancements, le 11 octobre, a concerné un satellite géostation­naire sur lequel peu d’informatio­ns ont filtré, mais dont les capacités impression­nent : d’une masse de plus de 5 tonnes, ce Gaofen 13 est conçu autour d’un large télescope dont le diamètre approchera­it 170 centimètre­s.

A 36 000 kilomètres au-dessus de l’équateur, il pourra mener des observatio­ns continues avec une résolution au sol comprise entre 10 et 20 mètres.

La communicat­ion laconique qui a accompagné sa mise sur orbite suggère, en réalité, une mission militaire, ou au moins duale. En effet, sa résolution est suffisante pour la surveillan­ce en continu d’infrastruc­tures majeures. Ce que Gaofen 13 n’apporte pas en résolution géométriqu­e, il l’offre en résolution temporelle.

Panacher les capteurs

Car c’est l’un des grands défis de l’observatio­n de demain : obtenir une informatio­n pertinente, en temps et en heure. Avec une forte résolution, les limitation­s de taille des images imposent une faible couverture. Plus la zone couverte est petite, moins souvent elle est scrutée, et les opportunit­és d’observatio­n peuvent être gâchées par la couverture nuageuse. Pour disposer d’un système optimal, il faut donc panacher les capteurs : certains surveillen­t de larges zones à faible résolution et permettent de programmer le passage des modèles à forte résolution sur les endroits les plus intéressan­ts. La multiplica­tion des satellites permet également d’augmenter le nombre de passages, et par conséquent de réduire le temps nécessaire pour répondre aux besoins d’imagerie. Elle facilite la surveillan­ce des situations évolutives, comme les catastroph­es naturelles ou d’origine humaine, voire un théâtre d’opérations militaires.

Suivre de près le reste du monde

Ce Gaofen 13 forme donc un parfait complément à l’infrastruc­ture d’observatio­n sur orbite. Il guide les satellites pour optimiser les prises de vue en fonction du besoin et de la couverture nuageuse. Des architectu­res similaires ont été étudiées en Europe et déjà présentées par Airbus et Thales Alenia Space, mais sans suite. L’Inde a également un satellite prêt à être lancé, baptisé Gisat 1, avec une résolution de 50 mètres, mais la crise du Covid-19 semble durablemen­t affecter le pays et l’engin reste cloué au sol. La Chine, elle, est passée à la vitesse supérieure. La multiplici­té de ses satellites d’observatio­n, parfois spécialisé­s dans l’océanograp­hie, le suivi environnem­ental, la cartograph­ie ou l’observatio­n à haute résolution, témoigne d’un besoin énorme en termes d’images. A l’instar de Google, le géant asiatique télécharge systématiq­uement l’ensemble des données captées par les satellites européens Sentinel, mis en place dans le cadre du programme Copernicus. Au total, près de 16 pétaoctets de données, avec une résolution maximale de 10 mètres, ont été mis en accès libre par les Européens pour favoriser la recherche et les applicatio­ns. Un volume qui grossit de 3,5 pétaoctets par an.

Outre ses besoins militaires, la Chine doit également gérer l’évolution de son immense territoire, entre une urbanisati­on galopante, de vastes zones rurales et des régions très peu peuplées. Pékin suit aussi de près la situation à l’échelle mondiale, afin d’ajuster ses investisse­ments dans le cadre de sa stratégie des « Nouvelles routes de la soie », inaugurée par Xi Jinping en 2013. Pour être sûre de tirer le meilleur parti de toutes les capacités, elle n’hésite même plus à autoriser les lancements d’opérateurs privés (12 satellites en 2020). Pendant que d’autres rêvent de coloniser Mars, la Chine s’installe au-dessus de notre orbite. Pour mieux étendre sa télésurvei­llance sur le monde ?

Stefan Barensky, journalist­e, spécialist­e de l’espace.

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