L'Express (France)

Yuval Noah Harari ne bulle pas

L’adaptation en BD du phénomène est une très bonne surprise.

- PAR YUVAL NOAH HARARI, THOMAS MAHLER

MÉDIÉVISTE SPÉCIALISÉ DANS LE DOMAINE MILITAIRE, un maître de conférence­s à l’université hébraïque de Jérusalem se retrouve chargé d’un cours dont personne ne veut : aux étudiants de premier cycle, il doit enseigner la genèse de l’humanité, vaste programme. Inspiré par Jared Diamond, champion d’une approche globale de l’Histoire qui se joue des discipline­s, notre universita­ire en fait un livre au tirage modeste en 2011. La suite appartient à la légende de l’édition. Traduit en anglais en 2014 et, l’année suivante, en français chez Albin Michel, Sapiens se vend à plus de 14 millions d’exemplaire­s, dont plus de 800 000 en France. Son auteur, Yuval Noah Harari, se voit propulser au rang de superstar intellectu­elle, louée autant par Bill Gates que par Emmanuel Macron ou Angela Merkel. Après le passé, il se penche sur le futur (Homo deus), puis le présent (21 leçons pour le xxie siècle), deux autres livres événements. Mais Sapiens refuse de quitter les classement­s des meilleures ventes, ce qui justifiait bien son adaptation en bande dessinée.

Cocorico, l’initiative est franco-belge : Martin Zeller, éditeur chez Albin Michel, a convaincu Harari de collaborer avec le scénariste David Vandermeul­en (fondateur de la collection « La Petite Bédéthèque des savoirs ») et l’illustrate­ur Daniel Casanave (auteur notamment d’albums avec Hubert Reeves). Autre bonne surprise, la BD ne se contente pas de surfer paresseuse­ment sur le phénomène. Original et plein d’humour, le premier tome met en scène Harari avec des chercheurs, fictifs ou non, qui se promènent à travers les époques et les continents. Une enquête palpitante pour tenter de comprendre comment, en moins de cent mille années, un animal insignifia­nt, Homo sapiens, a atteint le sommet de la chaîne alimentair­e. Selon l’historien, la première piste est à chercher du côté de la révolution cognitive, dans la capacité de coopératio­n des hommes à grande échelle et leur don pour raconter des histoires, compétence­s inégalées par les autres espèces. Multiplian­t les clins d’oeil et les pastiches, le trio n’hésite pas à mener l’enquête façon polar pour démasquer le plus grand serial killer de tous les animaux (spoil : c’est l’homme) ou à mettre en scène des superhéros afin de démontrer les pouvoirs octroyés par les fictions (des grands mythes au… storytelli­ng de Peugeot). Homosexuel affiché, le libéral Harari profite de cette virée dans la préhistoir­e pour contrer l’argument des conservate­urs selon lequel le modèle des « familles composées d’une mère, d’un père et de leurs enfants communs » serait naturel. L’album rappelle les multiples configurat­ions en vigueur chez les primates. Le mâle gorille évolue au milieu d’un harem, les mères orangs-outans sont célibatair­es, les chimpanzés adeptes du polyamour, et les femelles bonobos pionnières du girl power. Quant aux humains de l’âge de pierre, ils pratiquaie­nt sans doute, dans un contexte communauta­ire, une paternité collective : une maman, plusieurs papas présumés.

On peut reprocher à l’historien une vision un peu trop idyllique des chasseurs-cueilleurs, bien dans l’air du temps. La BD présente nos ancêtres en adeptes des 35 heures, libérés de la propriété comme des corvées domestique­s ou de la malbouffe. On enviera aussi leur moindre dépendance aux maladies infectieus­es, pour la plupart transmises par des animaux après leur domesticat­ion. A se demander comment cet imbécile d’Homo sapiens a pu abandonner cet éden primitif pour se mettre à cultiver des champs et à élever des bêtes. Une révolution agricole qui sera le sujet du deuxième tome, à paraître dans un an.

En attendant, cette production israélo-franco-belge s’arrache déjà du Brésil au Japon. Si la coopératio­n (internatio­nale) et l’art de raconter des histoires sont le propre de l’homme, en voici une belle illustrati­on.

SAPIENS (TOME I). LA NAISSANCE DE L’HUMANITÉ

DAVID VANDERMEUL­EN ET DANIEL CASANAVE.

ALBIN MICHEL, 245 P., 22,90 €.

W

Ken Follett (Robert Laffont)

Marc Levy (Robert Laffont/Versilio)

Emmanuel Carrère (P.O.L)

Guillaume Musso (Calmann-Lévy)

Class. Nbre précédent semai ! Jean Teulé (Mialet-Barrault)

Elizabeth

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un sans-papiers et retranscri­re son expérience de colocation dans un ouvrage que son éditeur le presse de commencer. De l’autre côté de la ville, un groupe d’écrivains se retrouve régulièrem­ent pour composer un opus collectif qui emprunte tous les codes du manifeste politique. Entre ces deux mondes, Sylvie et Bernard se vautrent dans leur quotidien de famille bourgeoise frustrée ; Semira, leur femme de ménage – qui était comptable dans son pays d’origine –, donne des cours de maths à leur fils ; Jérôme, l’amant de Sylvie, écrit sa thèse ; Sonia, rewriter et nègre, est embauchée pour accompagne­r Jean-Marc dans l’écriture de son livre.

Diane Meur interroge ici les perspectiv­es d’un monde à contre-courant de celui que l’on connaît – concentré sur l’économie et vecteur et d’inégalités –, d’un monde où les écrits des « utopistes » ne restent pas couchés sur le papier mais acquièrent une dimension performati­ve. Des vertus du rêve…

LA COLLECTION DISPARUE ✷✷✷✷✷

UN JOUR, vous recroisez un cousin issu de germain, ancien de chez Sotheby’s, qui vous parle de votre arrière-grand-père : étiez-vous au courant que ce dernier avait eu en sa possession des tableaux de Renoir, Monet, Manet, Degas ou Sisley ? Et qu’il avait tout perdu dans des circonstan­ces jamais élucidées ? De retour chez vous, vous comprenez qu’il va falloir tirer ça au clair. Nous sommes en 2015 : ni une ni deux, Pauline Baer de Perignon épluche tout ce que l’on peut trouver sur son ancêtre, Jules Strauss. Avant de disparaîtr­e, en 1943, ce banquier allemand avait eu plusieurs vies, dont une de collection­neur dandy. Il vivait avenue Foch, dans l’ancien appartemen­t de Feydeau. Une chose révulsait cet homme de conviction­s : les cadres Empire des toiles Renaissanc­e du Louvre. Il avait offert au musée une soixantain­e de vieux cadres pour réparer cet impair. La guerre, hélas, lui avait rappelé qu’il était juif…

Au cours de ce récit émouvant, Pauline Baer de Perignon cite un rabbin : « Ne demande jamais ton chemin à quelqu’un qui le connaît, car tu pourrais ne pas t’égarer. » Pleine de méandres, son enquête sur une histoire familiale passée sous silence lui fait découvrir des archives inédites. A un moment, Patrick Modiano en personne lui donne un coup de main. Rien n’échappe à ce spécialist­e de l’Occupation : bien sûr, il voit qui était Jules Strauss, et qui l’avait remplacé avenue Foch, un certain Kurt Maulaz, agent de la Gestapo lié au réseau Otto. L’idée de la spoliation fait son chemin… Quand on est dans un labyrinthe, on devrait toujours appeler à la rescousse l’auteur de Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier.

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