Ma gonzesse, ma bagnole
« Oh Lord, won’t you buy me a Mercedes-Benz ? »
(« Oh, Seigneur, tu voudrais pas m’acheter une MercedesBenz ? »). C’est en effet avec l’argent de la jeune Bertha que son mari, Carl Benz, va pouvoir construire le premier moteur à pétrole capable de propulser… un tricycle.
C’est d’ailleurs Bertha qui, à l’insu de son mari, au petit matin du 5 août 1888, s’en va à bord du premier tricycle Benz, pour un périple de plus de 100 kilomètres. Et c’est aussi avec l’argent de son épouse que Gottlieb Daimler finance la fabrication de la première voiture à quatre roues motorisée. Et c’est avec les moteurs Daimler que Louise Levassor fait équiper les Peugeot et les Panhard. Quant à la Mercedes, Emil Jellinek, diplomate austro-hongrois en poste à Nice, aime tellement l’automobile qu’il devient représentant de la compagnie Daimler en France. Il demande au constructeur d’éditer un modèle sport dont il aurait l’exclusivité du commerce, à condition qu’il porte le prénom de sa fille, Mercédès, écrit à la française.
’est intéressant à savoir avant de monter dans une Mercedes-Benz. Comme de se souvenir que le célèbre tableau de Tamara de Lempicka représentant cette « conductrice énigmatique et casquée » est un autoportrait. Et qu’Isadora Duncan a perdu ses deux enfants de 2 et 6 ans dans un accident de voiture avant d’être elle-même étranglée par son foulard pris dans le moyeu de la roue de son Amilcar GS. L’iconographie de l’ouvrage laisse deviner la richesse encore inexplorée de cette mine ; photographies, affiches, films racontent évidemment le siècle de l’émancipation de la femme. Mais quelle histoire ne la raconte pas ?
La triste singularité de cette saga ethno-industrielle, c’est que le temps n’aura profité ni aux bagnoles ni aux gonzesses. La photographie prise en 1906 montrant Mercédès Jellinek au volant du bolide de course qui porte son nom ne suscite qu’une émotion intellectuelle, tout comme les infirmières de la guerre de 1914 posant devant leurs « autochirs » (automobiles chirurgicales). Mais quelque chose s’éveille, en 1930, à la vue de Marlene Dietrich (pantalon et gants blancs) le pied posé sur le marchepied de sa RollsRoyce. La danseuse Hellé Nice, convertie en pilote de course sur le circuit de Montlhéry pour le record du monde de vitesse à bord de sa Bugatti 35C, n’a rien à lui envier. Là où nos papillons s’envolent, c’est devant la Delahaye dessinée par le maître carrossier Jacques Saoutchik en 1949 : sur son aileron chromé, une hitchcockienne blancheur à chapeau de paille vous donne carrément envie d’avoir un garage pour apprendre la mécanique.
Après ça ? Le livre de Serge Bellu donne à penser qu’au-delà des années 1950 l’automobile et la femme n’ont plus grandchose à se dire, mis à part ces cochonneries commerciales évoquées au début. Comme si « la femme », en se libérant aussi de l’automobile, avait perdu une de ses plus belles métaphores.
CChristophe Donner, écrivain.
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