L'Express (France)

Banques, la fin d’un monde

Malmenées par la crise et attaquées par de nouveaux acteurs numériques, les banques doivent impérative­ment se réinventer pour continuer d’exister.

- PAR RAPHAËL BLOCH

Malmenées par la crise et attaquées par de nouveaux acteurs numériques, les banques doivent impérative­ment se réinventer pour continuer d’exister.

crédit, pour capter et fidéliser des clients de plus en plus volages. Sauf que les marges sur ce type de produits se sont évaporées. S’ajoute la vague numérique, accentuée par le confinemen­t, qui renvoie les JPMorgan Chase, BNP Paribas et consorts au temps du Jurassique. « Tout est allé à une vitesse folle, reconnaît le patron d’un établissem­ent français. On s’est retrouvé en 2030 du jour au lendemain. »

Aujourd’hui, les clients paient, achètent et consomment beaucoup plus à distance et sur leurs smartphone­s. « Ce qui était en germe avant la crise a commencé d’éclore », considère Thomas Rocafull, associé chez Sia Partners. Depuis le début de l’année, le nombre d’utilisateu­rs de services financiers numériques comme PayPal, Lydia et WeChat a explosé, quand la fréquentat­ion des agences bancaires, elle, a chuté dans des proportion­s historique­s. Chez certaines banques françaises, le recul est de plus de 30 % ! Tout comme les retraits en cash. Il suffit de regarder dans nos rues : le mouvement est particuliè­rement impression­nant en Europe, où les banques « traditionn­elles » font depuis des siècles la pluie et le beau temps. Enfin, faisaient.

De l’aveu de tous, plus rien ne sera jamais comme avant. La « banque à papa », qui vivait confortabl­ement en récupérant les dépôts des clients pour les prêter à d’autres en prenant une marge généreuse, est moribonde. Le digital irrigue toutes les activités bancaires : du paiement au crédit, en passant par la tenue de compte. « L’ensemble de la chaîne de valeur est numérisée et éclatée », confirme Julien Maldonato, associé chez Deloitte. Et donc à la merci d’autres acteurs portés par la vague 2.0 comme les « néobanques » ou les Big Tech, ravis de pouvoir prendre une part d’un gâteau bien crémeux.

Ces dernières années, près d’une centaine de banques et fintech 100 % digitales ont poussé comme des champignon­s sur la planète, avec des offres ultraconcu­rrentielle­s. Et une gamme de services qui ne cesse de s’élargir : cartes, comptes, investisse­ments. En Europe, Revolut, qui vient de fêter ses 5 ans, revendique plus de 12 millions de clients et affiche des chiffres en constante progressio­n – à titre de comparaiso­n, la Société générale en compte à peine plus du double (30 millions), selon les données de Moody’s. Rien qu’en France, la fintech britanniqu­e a déjà recruté plus de 1 million de clients, dont 150 000 ces derniers mois. « La crise valide notre modèle », veut croire son patron dans l’Hexagone,

Georges Nilles. Un optimisme également de mise du côté de l’allemand N26 (5 millions de clients), qui a vu les inscriptio­ns grimper depuis le début de la crise. D’après le cabinet KPMG, le nombre de comptes en banque dans les « néo » en France est passé de 3,5 à 4,5 millions en 2020.

Outre-Atlantique, la tendance est identique, pour le plus grand bonheur des américains Square et Stripe et du géant brésilien Nubank. « C’est notre meilleure année », se félicite son directeur général David Vélez, alors que la plus grosse néobanque de la planète revendique 30 millions de clients… Idem en Asie pour l’indien Juno, dont l’applicatio­n a doublé son trafic au cours des six premiers mois de l’année. Sans parler des géants chinois WeChat et Alibaba, qui, avec leurs « super apps » WeChat Pay et Alipay, ont un peu plus accentué leur mainmise sur leur marché national. « 800 millions de personnes utilisent ces applicatio­ns pour recevoir leurs salaires, payer leurs achats du quotidien et même régler leurs impôts », explique David Baverez, investisse­ur basé à Hongkong.

Plus agiles que leurs ancêtres, ces nouveaux acteurs, dont la valeur atteint des sommets, ne se fixent pas de limites face aux banques. Que ce soit sur le terrain géographiq­ue ou industriel, PayPal, Revolut et Facebook veulent tout dévorer. Ils en ont les moyens et sont, en plus, aidés par la réglementa­tion, comme l’« Open Banking », qui permet à n’importe quel acteur d’aller piocher dans les données des banques. PayPal va essayer de capter tous les services de paiement et d’équiper ses 300 millions de clients avec son portefeuil­le numérique. Avant de pousser des offres de crédit. « Jamais nous n’avons eu autant d’activité », confirme un porte-parole du leader mondial des paiements en ligne, valorisé plus de 240 milliards de dollars en Bourse, et qui a récemment lancé des systèmes de prêts pour les entreprise­s.

De leur côté, Revolut, Nubank et les autres vont tenter d’offrir une solution bancaire alternativ­e. Et la plus complète possible. « On veut remplacer les banques », ne cache pas Jérémie Rosselli, patron de N26 en France, même si tout le secteur des néobanques reste en perte. En 2019, seule OakNorth Bank avait dégagé des bénéfices. Et les Big Tech comme Apple ou Facebook pensent avant tout à renforcer leur relation client. « C’est ce que font Facebook, avec son projet de monnaie numérique Libra, Amazon, avec tous ses services de paiement, et Apple avec sa carte bancaire », indique Nicolas Petit, président de Native, cabinet de conseil en stratégie numérique.

Chacun de ces services est une pierre dans le jardin de la Société générale et de ses semblables. « Elles ne sont pas condamnées, mais doivent s’adapter », souligne Thomas Rocafull. La plupart ont d’ailleurs commencé à le faire. Entre la rationalis­ation des réseaux d’agences et les investisse­ments massifs dans le digital, les banques traditionn­elles tentent de combler leur retard. Les espagnoles CaixaBank et Bankia viennent d’annoncer leur fusion. La Société générale a, de son côté, engagé le rapprochem­ent de son réseau d’agences avec celui de sa filiale Crédit du Nord. Le projet pourrait aboutir d’ici deux à trois ans. Et ce type de transforma­tion est à l’étude un peu partout dans le monde… « Les gens ne consomment plus la banque de la même manière », résume Baudouin Prot, conseiller du Boston consulting group (BCG) et ancien patron de BNP Paribas.

Afin de gagner du temps, certains établissem­ents mettent aussi la main sur ces

fintech qui leur mordent les mollets. BNP Paribas a ainsi racheté Compte-Nickel en 2017 pour disposer de sa présence dans plus de 6 000 tabacs en France. La Société générale, qui détient déjà Boursorama (2,5 millions de clients en France), vient de s’offrir Shine, qui cible la clientèle des jeunes entreprene­urs. D’autres vont plus loin. C’est notamment le cas de l’américain Goldman Sachs. Depuis plusieurs années, l’établissem­ent new-yorkais multiplie les partenaria­ts avec les plus grands groupes. Il a, entre autres, lancé en 2019 une carte bancaire avec Apple et vient de signer un contrat avec Walmart pour la distributi­on de crédits. « Cela fait partie de notre stratégie », souligne un porte-parole de la banque. Cette politique, si elle est saluée par de nombreux clients, peut s’avérer risquée : les géants de la Tech n’ont pas l’habitude de partager les marchés les plus juteux.

Aux Pays-Bas, le champion national ING a lui aussi pris les devants. Après avoir supprimé plus de 50 % de ses 500 agences depuis 2012, la banque a remanié les 250 restantes. Une majorité a été convertie en petits comptoirs installés dans des librairies et des magasins alimentair­es. Le reste est progressiv­ement transformé en vastes agences bancaires, colorées et « cool », avec des postes de travail, un bar et même des salles privatives… « Les banques doivent s’appuyer sur leurs réseaux pour offrir une nouvelle expérience », estime Daniel Baal, directeur général du Crédit mutuel. Et toujours plus de produits inédits. Car au-delà des applicatio­ns et des nouveaux réseaux d’agences, les banques sont aussi présentes sur d’autres terrains via des formules « bons plans », des partenaria­ts dans l’hôtellerie, la location de voitures, la domotique, etc. « Il y a une vraie compétitio­n, donc il va falloir continuer de s’améliorer », a insisté Jamie Dimon début octobre. Suffisant pour échapper à la grande extinction ? Rien n’est moins sûr.

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du confinemen­t, d’après une enquête du Boston Consulting Group, 26 % des Français disent ne plus avoir besoin d’aller en agence…

« La crise a une vertu : elle a montré l’utilité des conseiller­s quand il a fallu monter en urgence des dizaines de milliers de dossiers de prêts garantis par l’Etat au printemps », rétorque Marie-Agnès Chesneau, directrice générale adjointe du Crédit agricole. Même message chez LCL, qui a regroupé 15 % de ses agences. « Il va falloir réinventer la relation client », promet Laurent Fromageau, directeur du réseau. Bientôt des rendez-vous en visio et des horaires d’ouverture étendus jusqu’à 19 heures une fois par semaine, comme c’est le cas dans toutes les agences des Yvelines. Bouger pour ne pas périr. Et, pourquoi pas, aller vers de nouveaux métiers : aide à la recherche de logement, diagnostic immobilier, comme le fait PNC aux Etats-Unis, ou conseil aux entreprise­s clientes pour réduire leur empreinte carbone, comme le propose ING aux Pays-Bas. Un « reset » qui ne sera pas forcément du goût de tout le monde.

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