L’irresponsabilité de Mélenchon
Le patron des Insoumis ne pèche pas par conviction, mais par opportunisme politique. Et c’est sans doute le plus grave.
es temps changent. Au lendemain des attentats contre Charlie et l’Hyper Cacher, en janvier 2015, c’est l’éventuelle présence de Marine Le Pen au rassemblement de la place de la République, à Paris, qui avait suscité la controverse. En octobre 2020, c’est la présence effective de Jean-Luc Mélenchon au sein d’une manifestation d’une facture comparable, dans le même cadre, au lendemain de l’assassinat de Samuel Paty, qui a provoqué des commentaires indignés. Les temps changent, et, avec eux, c’est la réputation des responsables politiques qui peut varier du tout au tout, lorsque l’actualité réveille l’émotion et allume les passions jusqu’à l’incandescence.
LUn procès ancien
Jean-Luc Mélenchon, on l’avait laissé ravi que, dans un livre salué pour sa hauteur de vue, Lionel Jospin ait loué son talent avant d’expliquer que sa place naturelle était au sein de la gauche, qu’il pouvait même représenter dès le premier tour de la prochaine présidentielle si l’envie prenait à celle-là de se rassembler pour gagner. Quelques semaines plus tard, on le retrouve outré d’entendre certains de ses anciens camarades – Manuel Valls, notamment, dont on se souvient peut-être qu’il fut le chargé de com de Lionel Jospin alors Premier ministre – pointer avec force des trahisons et des fréquentations scandaleuses qui, selon eux, devraient le mettre définitivement au ban de sa famille politique, voire de la République.
Dans le procès Mélenchon, puisque c’est bien de cela qu’il s’agit, les pièces de l’accusation sont multiples et anciennes. Elles reviennent de manière récurrente. La nouveauté est que l’une d’entre elles, qui est aussi la plus infamante – convergence d’action avec une frange de la mouvance islamiste –, éclipse désormais toutes les autres. Le leader des Insoumis ne pouvait imaginer, à l’heure de son entrée en lice pour sa troisième candidature à la présidentielle, qu’un drame comme celui de Conflans-Sainte-Honorine puisse recomposer à ce point le paysage idéologique français. Ce qui se passe aujourd’hui, sur ce terrain-là, est d’une ampleur rare et d’une force suffisante, en tout cas, pour infléchir substantiellement la politique macronienne et modifier, par la même occasion, les équilibres internes du camp laïque au profit de sa composante la plus radicale. Un tel glissement de terrain ne pouvait pas laisser indemne Jean-Luc Mélenchon, vu son passé et son profil militants. Le voilà convoqué à la barre d’un procès qui, de fait, est de nature politique et qu’il aborde pourtant en faisant profil bas. Ce qui ne correspond ni à son tempérament ni au style requis dans ce genre d’affaires quand on plaide l’innocence.
« Idiots utiles »
Dans un premier temps, Jean-Luc Mélenchon a préféré calmer le jeu en expliquant que les circonstances imposaient sang-froid, recueillement et rassemblement. On voit surtout que, pour se protéger, c’est moins à l’accusation elle-même qu’il tente de répondre qu’à la manière dont elle est formulée. En l’espèce, le patron des Insoumis a quelques arguments à faire valoir, surtout si son objectif est d’obscurcir à son tour le débat.
Le concept d’islamo-gauchisme – et avec lui, plus encore, celui d’islamophobie – a perdu une partie de sa pertinence initiale en devenant cri de guerre. Il sert aujourd’hui davantage à déconsidérer l’adversaire, quitte à viser large et flou à la fois, plutôt qu’à décrire avec précision un choix idéologique cohérent. Il plaît trop aux traîne-rapières et aux pêcheurs en eau trouble pour que son usage immodéré, tous azimuts, ne finisse pas, un jour ou l’autre, par servir ceux-là mêmes qu’il devait accabler. Jean-Pierre Obin, cet inspecteur général de l’Education qui avait vu et qu’on n’a pas voulu entendre, est un procureur bien plus redoutable quand, dans son dernier livre, sans désigner nommément Jean-Luc Mélenchon, il parle « des idiots utiles » qui, pour servir leurs desseins révolutionnaires, encouragent en vrac toutes les colères et toutes les frustrations de la terre sans mesurer qu’un jour ils seront sacrifiés à leur tour, sans remords ni pitié.
« Tout ce qui bouge est rouge », disait déjà, avec une belle dose d’inconscience, une certaine extrême gauche d’après 1968.
La faute de Mélenchon face à l’islamisme, celle que le meurtre de Conflans remet en pleine lumière et qui n’est pas près de s’effacer, elle est là et nulle part ailleurs. Même pas idéologique. Vulgairement tactique, cynique, plus ponctuelle que structurelle, tellement étrangère à la tradition lamberto-maçonnique dans laquelle il a grandi que seuls de petits enjeux internes à son nouveau parti peuvent expliquer qu’elle perdure à ce point. L’excuse possible est devenue la pire des condamnations : Mélenchon, irresponsable et donc irrémédiablement coupable.
WFrançois Bazin, essayiste et journaliste spécialiste de la politique.