L'Express (France)

Suédois, sûr de soi et exceptionn­el

De la crise des migrants à celle du coronaviru­s, le pays modèle de la social-démocratie ne fait jamais rien comme les autres.

- Marion Van Renterghem

Cette fois, ce n’est pas un village gaulois, mais une nation de Vikings qui résiste encore et toujours à l’envahisseu­r. Une terre presque polaire aux milliers d’îles, de forêts, de lacs et de montagnes, où le soleil oublie de se coucher en été et de se lever en hiver, et dont la population (10 millions d’habitants) est inférieure à celle de l’agglomérat­ion de Paris, pour une superficie (450 000 kilomètres carrés) à peine moins étendue que celle de l’Espagne. Dans l’extrême nord de l’Union européenne, la Suède ne fait jamais rien comme tout le monde. Une couronne nationale qui se passe de l’euro, un choix de neutralité en temps de guerre, un jury pourvoyeur de prix Nobel... Et un livre des records à elle toute seule : la Suède est régulièrem­ent classée parmi les pays les moins inégalitai­res, les plus démocratiq­ues, les plus écologique­s, les plus attachés aux valeurs de tolérance et de laïcité, les plus rigoureux avec leurs finances publiques et les mieux réputés du monde. Une monarchie parlementa­ire devenue le modèle planétaire de la social-démocratie au point de s’ériger en « superpuiss­ance morale » – bien qu’elle détienne aussi, parmi ses records innombrabl­es, celui moins reluisant du taux de suicide parmi les plus élevés du monde. Avec tant de médailles, comment ne pas être sûr de soi ? La Suède a poussé sa manie de la singularit­é jusqu’à se distinguer dans les deux dernières crises qui ont bouleversé la planète : celle (humanitair­e et politique) des migrants, et celle (sanitaire, économique et sociale) du Covid-19, dont nous n’avons pas encore vu pointer le début de la fin. En 2014, elle s’est illustrée en accueillan­t, en proportion de sa population, plus de migrants que chacun des autres pays de l’Union européenne, dont la plupart, à l’exception de l’Allemagne et de l’Autriche, ont préféré fermer les yeux et s’arc-bouter derrière leurs frontières. Fredrik Reinfeldt, alors Premier ministre, avait invité les Suédois à « ouvrir leurs coeurs » – bien qu’il ne soit pas de gauche, mais de centre droit, et à la veille d’élections périlleuse­s. Il les perdit d’ailleurs en 2014, mais sans que son successeur social-démocrate, Stefan Lofven, ne renonce pour autant à cette politique d’accueil, du moins pour quelque temps.

Des Astérix version nordique

L’« exceptionn­alisme » suédois est plus saillant encore dans la crise actuelle. Ces Astérix version nordique persistent à user d’une stratégie totalement décalée en Europe, conjuguée à un flegme qui tranche avec l’agitation générale. Depuis le début de l’épidémie, Stockholm n’a imposé aucun confinemen­t. Non seulement le masque n’est pas recommandé, mais celui qui le porte en ville est regardé avec un vague soupçon de mépris. Souplesse et responsabi­lité individuel­le sont les mots d’ordre. Appel au civisme, au respect de l’autre, donc aux règles d’hygiène et de distanciat­ion et à l’isolement en cas de symptômes dans l’entourage. Ce qui revient à faire de ce non-confinemen­t un semi-confinemen­t qui ne dit pas son nom : commerces, bars, restaurant­s et écoles n’ont pas fermé, mais le télétravai­l est généralisé et les personnes âgées ou vulnérable­s sont invitées à rester isolées, sans voir leur famille.

Une once de « »

Jusqu’à l’été, le bilan n’était pas convaincan­t pour autant. La bienveilla­nce étant dans ce bas monde moins partagée que la jalousie, les Européens ont pu ressentir une once de « Schadenfre­ude », comme on appelle en allemand la joie mauvaise éprouvée face au malheur d’autrui : la Suède, cet éternel meilleur élève en tout, affichait l’un des pires taux de mortalité, plus élevé que ceux de la France et de ses voisins scandinave­s (Danemark, Finlande, Norvège), tout en n’évitant pas un plongeon record de son PIB de plus de 8 % au deuxième trimestre. Les Suédois en sont venus à douter d’eux-mêmes. Mais, exceptionn­alisme oblige, ils ont gardé le cap.

« La lutte contre le Covid-19 est un marathon et non un sprint », ne cesse de répéter Anders Tegnell, l’épidémiolo­giste en chef du pays. Il se garde tout autant de crier victoire aujourd’hui, alors que la Suède semble moins frappée, relativeme­nt, par la deuxième vague épidémique qui submerge l’Europe. Celle-ci devra sa réussite (ou non) au croisement de paramètres qui fait sa force, combinant autodiscip­line des citoyens, semiconfin­ement déguisé, faible densité de population et un système de santé bien géré dont les capacités n’ont jamais atteint la saturation. Les voisins ébaubis du sud et de l’est ne doivent pas se leurrer : l’exception suédoise n’est pas un modèle transposab­le.

WMarion Van Renterghem, grand reporter, lauréate du prix Albert-Londres, auteure d’une biographie d’Angela Merkel et d’un essai autobiogra­phique sur l’Europe.

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