Bouaké la rebelle se cherche un avenir
La deuxième ville du pays peine à se remettre des années de crise et à effacer son image de frondeuse. A la veille de la présidentielle, les habitants veulent prendre leur destin en main.
ne arrivée digne d’une rock star. Du toit ouvrant de sa voiture, Alassane Dramane Ouattara, « ADO », salue la foule surchauffée qui l’attend depuis des heures sur cette esplanade poussiéreuse d’un quartier du nord de Bouaké. Combien sont-ils, ce 16 octobre ? 40 000 ? 50 000 ? Une fois sur scène, le président ivoirien saisit le micro. « Si les autres sont “garçons”, qu’ils viennent aux élections !, lance-t-il, offensif, d’une voix éraillée. Nous allons les battre. ADO gagnera au premier tour. Ce sera un coup
UK.-O. ! Un coup K.-O. ! » Pas plus de trois minutes de discours pour galvaniser ses troupes, et le voilà déjà reparti pour poursuivre sa campagne jusqu’au scrutin du 31 octobre. En centre-ville, un élu de l’opposition peste contre ce chef d’Etat qui brigue un troisième mandat. « Il avait dit qu’il partirait, il a trahi les Ivoiriens », dénonce Eddy Konan Kouadio. Son candidat, l’ex-président Henri Konan Bédié, refuse de mener campagne en signe de protestation. En mars, Alassane Ouattara, 78 ans, s’était pourtant choisi un successeur, le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly. Mais, quatre mois plus tard, ce dernier décède brutalement d’un arrêt cardiaque. « ADO » reprend la main. Si la loi fondamentale ivoirienne indique qu’un chef d’Etat ne peut pas effectuer plus de deux mandats, le Conseil constitutionnel, réputé proche du président, accepte de valider sa candidature. Depuis, la tension ne cesse de monter dans la première puissance économique de l’Afrique de l’Ouest francophone. Les violences ont déjà fait une trentaine de morts.
« Depuis que Ouattara est aux manettes, Bouaké a été oubliée, reprend l’opposant. La croissance économique tant vantée [NDLR : 8 % en moyenne depuis 2012] est concentrée à Abidjan, il n’y a pas de répartition de la richesse », dénonce celui qui réclame « un plan Marshall » pour la deuxième métropole du pays. Bouaké a payé cher la décennie de crise ivoirienne. De 2002 à 2011, c’est dans cette ville du Centre que s’installe la rébellion contre le régime de Laurent Gbagbo. C’est ici qu’un bombardement de l’armée ivoirienne tue neuf soldats français en 2004. Une tragédie rappelée par une stèle en pierre grise et brute, fleurie, devant l’ancien lycée français Descartes. Avec l’aide militaire de Paris, Alassane Ouattara finit par prendre le pouvoir après la présidentielle de 2010 et une crise postélectorale qui a fait officiellement 3 000 morts. Sans doute plus.
Dans les rues de Bouaké, des résidences d’anciens cadres de la ville qui ont fui pendant ces années de crise demeurent vides. « Pendant que le pays se reconstruisait, nous, nous étions à la traîne », reconnaît le maire, Nicolas Djibo. La faute à un pouvoir central qui préfère regarder ailleurs. La faute aussi à l’image d’une cité rebelle, frondeuse, qui peine à s’effacer. Début 2017, une mutinerie éclate, les militaires réclament les primes promises. « J’étais dans mon bureau avec des Portugais qui voulaient implanter une usine de transformation du riz, se souvient l’édile, proche du RHDP, le parti au pouvoir. Tout à coup, nous avons entendu des coups de feu à l’extérieur, les investisseurs sont partis et ne sont jamais revenus… »
Aujourd’hui, cette ville de casernes, qui compte 1 million d’habitants, s’est assagie. « Nous sommes bien traités, admet le sergent-chef Adama Coulibaly, qui fut l’un des meneurs de la mutinerie, attablé dans un “maquis”, du nom de ces petits cafés-restaurants ivoiriens. Nos baraquements ont été rénovés, j’ai pu acheter une
maison, et, dans mon village familial, nous avons désormais l’électricité. »
La transformation de l’agglomération est palpable. Souvent conduites par d’anciens rebelles, les motos-taxis disposent d’une cinquantaine de nouveaux kilomètres de bitume pour rouler. En sillonnant la ville, elles passent devant le stade de 40 000 places en construction, en prévision de la Coupe d’Afrique des nations de 2023, ou près des chantiers du lycée technique et de la piscine municipale. Lors de sa visite, en décembre, en compagnie d’Alassane Ouattara, Emmanuel Macron a donné le coup d’envoi de l’édification du plus grand marché couvert d’Afrique de l’Ouest. Ici, 8 500 commerçants seront répartis sur 9 hectares. Un projet à 60 millions d’euros, financé par l’ex-puissance coloniale.
« Le vrai problème, c’est l’emploi, juge toutefois Inza Ouattara, délégué du Conseil national des jeunes à Bouaké. L’Etat fait des efforts, mais il n’y a pas assez d’usines, beaucoup ont disparu avec la crise. » Les élus regrettent de voir partir les récoltes de noix de cajou ou de coton sans qu’elles n’aient été transformées sur place. « Mon chiffre d’affaires n’a crû que de 15 % en quatre ans », note Sami Nassan, patron de Sococé, seul grand supermarché de la cité. Derrière la vitre de son bureau, les caissières s’affairent. « C’est une petite classe moyenne qui consomme, la classe aisée d’avant la crise n’est jamais revenue », regrette-t-il. La plupart des professeurs de l’université de Bouaké, pourtant classée n° 1 en Côte d’Ivoire, préfèrent effectuer des allers-retours à Abidjan, située à cinq heures de route, plutôt que de vivre ici.
Un parfum de nostalgie du lustre d’antan de Bouaké, alors carrefour commercial et culturel du pays, flotte dans l’air. « Plus de 2 500 Français habitaient ici, nous ne sommes plus qu’une cinquantaine, indique Catherine Delon, une Franco-Ivoirienne nommée sénatrice par Alassane Ouattara. Même si la qualité de vie est meilleure ici, Bouaké est forcément un peu jalouse d’Abidjan, qui se développe à grande vitesse », concède-t-elle.
Lieu historique de brassage et de métissage, Bouaké a changé de visage. Les habitants originaires du nord du pays sont devenus majoritaires. Des réfugiés venus du Mali et du Burkina Faso, voisins en crise, les ont rejoints. « Depuis la guerre, la question de la réconciliation n’a pas été traitée en profondeur par le régime, les tensions entre les diverses communautés subsistent, parfois instrumentalisées par les politiciens, déplore Soumaïla Doumbia, président de la Plateforme de la société civile pour la paix et la démocratie. Nous travaillons à l’apaisement, mais la vigilance est nécessaire. »
Enseignant-chercheur en sciences politiques à l’université de Bouaké, Ousmane Zina se veut optimiste quant à l’avenir de la ville. « Les Bouakois ont fait preuve de courage et de résilience, et, doucement mais sûrement, Bouaké est en train de faire son retour, estime-t-il. Elle est un laboratoire et pourrait un jour donner des leçons au reste du pays. » Aux quatre coins de la cité s’étalent les immenses affiches du candidat « ADO », qui promet « une Côte d’Ivoire solidaire ». Un slogan qui plaît au maire, Nicolas Djibo. « S’il fait vraiment ce qu’il dit, Bouaké ira mieux, et la Côte d’Ivoire aussi. »
Wlocale de Maraat al-Nouman, des centaines d’étudiants ne savent pas ce qu’ils vont devenir. Penché sur son micro, béret en tissu vissé sur la tête, Mahmoud Sweid fait son possible, en direct, pour les aider.
Lorsqu’il crée Radio Fresh, en 2013, Raed Fares, journaliste citoyen et l’un des premiers révolutionnaires pacifiques de Syrie, la conçoit comme un espace de liberté, où peut s’exprimer une parole verrouillée dans la Syrie autoritaire de la famille Assad. En 2018, cet activiste charismatique est assassiné par des hommes armés. Une fois la douleur et l’effroi passés, son équipe reprend le micro. « L’une des devises de la radio est : “Restez avec nous car on est avec vous”, rappelle son nouveau directeur, Abdallah Klido. C’est ce qui nous fait continuer, malgré tout. » Aujourd’hui, l’objectif reste celui de « contrer les médias proches du régime, qui prétendent que tous les habitants d’Idlib sont des terroristes », et de montrer au monde que l’enclave est peuplée en majorité de civils et de déplacés. Diffusée sur Internet, Radio Fresh peut être écoutée par les Syriens du monde entier, qui partagent avec les 4 millions de personnes bloquées dans la région « l’espoir de vivre un jour en paix ».
Des journalistes entrent dans le bureau, s’installent pour une pause ou pour terminer leur papier. Dehors, une sirène retentit. Des avions. Abdallah Klido et ses collègues se figent pendant quelques secondes, puis reprennent leur discussion, comme si de rien n’était. « Dès qu’ils décollent, nous annonçons aux auditeurs dans quelle direction ils vont, quels secteurs et quelles villes vont être visés, précise le directeur. Les habitants ont deux minutes pour se mettre à l’abri. » Au début, la radio évoquait principalement les opérations militaires et la situation sur le front. « Puis nous avons compris que notre sort se jouait à l’étranger, donc nous nous sommes intéressés aux réunions politiques et aux négociations internationales, poursuit Abdallah. Les gens ont toujours l’espoir que ces discussions aboutissent à un accord de cessez-lefeu. » Il s’interrompt, la mine circonspecte de ceux qui ne croient plus aux promesses sans lendemain. « Etre journaliste ici est une folie, reprend-il. Nous sommes attaqués de tous les côtés. » Selon le réseau syrien des Droits de l’homme, près de 700 journalistes (de toutes nationalités) ont été tués depuis le début du conflit, en 2011.
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