L'Express (France)

Fermetures d’agences : la colère des campagnes

- EMMANUEL BOTTA

Dans les zones rurales, la disparitio­n des antennes bancaires est vécue comme un facteur d’accélérati­on de la désertific­ation.

Jean-Dominique Bourdin ne cache pas sa colère. Fin septembre, à la fin du conseil municipal, le maire divers centre (DVC) de la petite ville normande de Coutances (8 600 habitants), dans la Manche, revient sur la décision du Crédit agricole de fermer au début du mois l’agence du quartier Claires-Fontaines, pour ne garder que celle du centre-ville. « Comment est-ce possible, dans un quartier aussi peuplé, d’avoir entériné cette fermeture ? » peste notre homme, qui espère au moins sauver le distribute­ur de billets. Une fois n’est pas coutume, le groupe d’opposition soutient l’édile sans condition.

Un dépit peut-être difficile à comprendre pour les citadins, la fermeture d’une banque pouvant leur paraître dérisoire tant ces établissem­ents pullulent dans nos métropoles. Mais dans les campagnes et les petites villes, comme le reconnaît Maya Atig, la directrice générale de la Fédération bancaire française (FBF), « quand une agence ferme, bien souvent, beaucoup d’autres services ont déjà fermé avant elle ». Cédric Szabo, directeur de l’Associatio­n des maires ruraux de France, le confirme : « La SNCF, La Poste, les impôts, les banques… Cela participe à un tableau impression­niste, où l’on voit toute une série d’acteurs publics ou d’opérateurs privés apportant des services de base disparaîtr­e de nos campagnes. » Voilà pourquoi nombre d’élus ruraux se désespèren­t : ils voient dans la perte de ces antennes bancaires le dernier clou qui vient sceller un

cercueil, celui de la vie économique de leur commune.

Bien sûr, il faut relativise­r l’hécatombe. « Si le nombre d’agences en France, rapporté à 100 000 habitants, est passé de 60 à 53 entre 2009 et 2019, ce chiffre reste l’un des plus élevés d’Europe, la proximité étant la marque de fabrique des banques françaises », détaille Maya

« C’est une population peu à l’aise avec le numérique, qui a besoin d’un contact humain »

Atig. Au sein de la zone euro, sur la même période, ce ratio est passé de 55 à 38. Les réseaux mutualiste­s (Banque populaire, Caisse d’épargne, Crédit agricole, Crédit mutuel), beaucoup plus présents chez nous que dans les autres pays, ont limité la chute grâce à un ancrage local historique­ment fort.

Le problème, c’est que la digitalisa­tion massive des services bancaires ne peut avoir pour conséquenc­e que la multiplica­tion des fermetures d’agences. Or, outre l’accélérati­on sous-jacente de la désertific­ation des campagnes, le rôle de ces établissem­ents est primordial dans ces territoire­s. « Il y a, évidemment, l’accompagne­ment au quotidien des artisans et des agriculteu­rs mais, surtout, les habitants y sont bien plus âgés que dans les grandes villes, puisque environ 35 % ont plus de 60 ans. C’est une population peu à l’aise avec le numérique, qui a besoin d’un contact humain », souligne David Lestoux, fondateur du cabinet Lestoux & associés.

D’autant que la fermeture d’une agence s’accompagne le plus souvent du retrait du distribute­ur automatiqu­e de billets qui l’accompagna­it. « Les banques anticipent le zéro cash, mais c’est très loin de la réalité de nos territoire­s, où nombre de gens sont encore habitués à venir faire leur retrait hebdomadai­re pour les courses », martèle Cédric Szabo. Un maillage de plus en plus lâche qui s’est rapidement transformé en marché à prendre dans la tête de nombreux opérateurs, au premier rang desquels le transporte­ur de fonds Brink’s. Au dernier salon des maires, les commerciau­x de l’entreprise américaine faisaient ainsi l’article pour leur offre de distribute­urs de billets. « Le problème, c’est que cela coûte 1 000 euros par mois : un transfert de coûts supplément­aires vers les municipali­tés », déplore Cédric Szabo.

Heureuseme­nt, certaines banques ont, elles aussi, identifié le problème. Le Crédit agricole a ainsi décidé de remettre l’accent sur un dispositif créé il y a une trentaine d’années, les « Points verts » : un réseau de 6 000 boutiques (supérettes, boulangeri­es, bureaux de tabac…) dans lesquelles les clients de la banque mutualiste peuvent retirer de l’argent. « On vient de le rebaptiser “Relais CA” et une communicat­ion va être envoyée à tous nos commerçant­s partenaire­s », se félicite Marie-Agnès Chesneau, directrice générale adjointe du Crédit agricole. D’autres établissem­ents, à l’instar de la Société générale, ont commencé à tester le « cash back ».

L’idée ? Permettre, par exemple, aux clients de demander au commerçant, pour 45 euros de courses, de régler 65 euros en carte bleue et de récupérer 20 euros en espèces. Si les banques s’activent, c’est aussi qu’elles se savent menacées par Nickel (propriété de BNP Paribas), un service bancaire permettant, notamment, de retirer de l’argent dans les bureaux de tabac, où l’on peut créer son compte en quelques minutes sans condition de revenus. La nature a horreur du vide : si le nombre d’agences baisse, les services alternatif­s, eux, vont en se multiplian­t.

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