L'Express (France)

Notre-Dame : un chantier remarquabl­e, grâce à un régime d’exception

Quand l’Etat s’affranchit des règles d’urbanisme qui corsètent tout projet d’envergure, le résultat est aussi rapide qu’efficace et innovant. C’est une leçon qu’il convient de méditer.

- UNE CHRONIQUE DE NICOLAS BOUZOU Nicolas Bouzou, économiste et essayiste, est directeur du cabinet de conseil Asterès.

Le chantier de la reconstruc­tion de Notre-Dame de Paris aura été un magnifique succès. Des travaux d’une telle ampleur, d’une telle qualité, réalisés en cinq ans grâce à une collecte historique d’argent privé, pas loin de 1 milliard d’euros : qui pouvait y croire ? La France a toujours été le pays du laisser-aller suivi du sursaut. Ce chantier restera comme un exemple de sursaut. Etant marié à une vitraillis­te qui est intervenue sur ce chantier, j’ai pu vivre ce miracle « de l’intérieur », ou presque.

On aimerait que le soufflé ne retombe pas, ce qui nécessite de s’interroger sur les spécificit­és de cette reconstruc­tion. Car, à y regarder de près, les raisons pour lesquelles ce tour de force a été rendu possible en disent long sur ce qui abaisse artificiel­lement le dynamisme de l’économie française, et sur le regard un peu triste que notre société porte sur elle-même.

Le point crucial à comprendre, c’est que, quand il s’agit d’être rapide, efficace et innovant, notre Etat doit passer par un régime d’exception. Le village des Jeux olympiques, bâti dans la Seine-SaintDenis, qui permettra à 12 000 personnes de se loger ou de travailler après 2025, a pu être réalisé en cinq ans et avec un budget maîtrisé grâce au dispositif légal spécifique mis en place pour l’événement. En l’état normal du droit, sa mise en oeuvre aurait pris au moins dix ans, avec les surcoûts afférents. C’est pour cela que la première loi sur les JO de Paris, votée en 2018, « adapte les règles d’urbanisme », comme il est dit pudiquemen­t dans le texte, c’est-à-dire qu’elle les simplifie drastiquem­ent et court-circuite l’infernal dispositif de consultati­ons publiques obligatoir­es, généraleme­nt dominé par les « Khmers verts », et auquel n’importe quel projet un peu conséquent est désormais soumis en France avant, trop souvent, d’échouer.

Il est par ailleurs tout à fait intéressan­t de noter que la deuxième loi relative aux JO, celle de 2023, est parfaiteme­nt libérale : qu’il s’agisse de la vidéosurve­illance, du travail le week-end, de la formation des soignants ou de la location de vélos, elle simplifie ou autorise. Magnifique aveu de l’Etat, qui sous-entend que la liberté et l’innovation sont les meilleurs gages d’efficacité et que, dans le cours normal des choses, il les empêche. La loi de 2019 sur la restaurati­on de Notre-Dame était de la même eau que les lois sur les JO : abaissemen­t des impôts sur les dons, simplifica­tion, possibilit­é pour le gouverneme­nt d’agir par ordonnance­s pour « déroger à certaines dispositio­ns législativ­es qui seraient nécessaire­s afin de faciliter la réalisatio­n des travaux ».

On notera là encore la pudeur langagière. Ce que la loi sur Notre-Dame admet à mots couverts, c’est que le monstre législatif français, soutenu par une bureaucrat­ie passionnée et une justice administra­tive zélée, empêche la réalisatio­n effective de tout projet d’envergure. De fait, les travaux de 2019, réalisés en urgence, ont été effectués sans appels d’offres.

Plus récemment, le président de la République a annoncé un concours pour

Sur les JO de Paris, comme pour Notre-Dame, la loi simplifie et autorise

Les artisans, encensés depuis cinq ans, vont devoir retrouver les appels d’offres tatillons

la réalisatio­n de vitraux contempora­ins, afin de remplacer ceux de Viollet-le-Duc. Excellente idée, dans la mesure où les vitraux en question sont de médiocre intérêt, n’en déplaise aux thuriférai­res du maître. Oui, mais ils sont classés aux Monuments historique­s, et donc en principe intouchabl­es. Dans notre République monarchiqu­e, la parole présidenti­elle peut faire des miracles et, quand elle le souhaite – c’est beaucoup trop rare –, elle peut briser les conservati­smes. Malheureus­ement, il y a fort à parier que, une fois le chantier de Notre-Dame achevé et les Jeux olympiques clôturés, la vie économique normale du pays reprenne le dessus.

Les artisans, encensés depuis cinq ans, vont devoir retrouver les appels d’offres tatillons. Les législatio­ns européenne et française sur l’emploi du plomb seront toujours plus strictes, sans écouter suffisamme­nt les revendicat­ions de ceux qui travaillen­t. L’argent privé sera plus difficile à collecter. Le Code de l’urbanisme reprendra sa course folle vers une complexité maximale… Et l’on se désolera que notre pays, empreint de nostalgie, s’affaisse dans la torpeur économique et le ressentime­nt social. ✸

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