L'Histoire

1902, les catholique­s sont dans la rue

Depuis La Manif pour tous en 2012, l’église reviendrai­t en politique. C’est oublier de grands précédents. Dont le défilé de 1902.

- Par Magali Della Sudda

L’Église serait de retour en politique. Du côté de l’institutio­n, l’épiscopat s’est prononcé récemment en rappelant les catholique­s à leur devoir dans la cité1. Du côté des fidèles, la médiatisat­ion très intense des manifestat­ions de 2012 et de 2013 contre le mariage pour tous, puis, il y a peu, le succès à la primaire de droite du candidat François Fillon, soutenu par Sens commun, un groupe politique issu de La Manif pour tous, soulignent la présence de catholique­s dans l’espace public. Ce qui apparaît comme une résurgence étonne à la mesure du succès rencontré par le « récit » sur la « sécularisa­tion » de la société.

La visibilité de groupes d’inspiratio­n catholique doit se comprendre à l’aune des transforma­tions de l’église. La mobilisati­on, initiée par des laïcs, a emprunté le répertoire de l’action collective de gauche pour interpelle­r les pouvoirs publics, notamment l’occupation de la rue par la manifestat­ion.

Cette pratique n’est pas nouvelle à droite. Elle fait cependant l’objet d’investisse­ments mémoriels différents. Si l’action française commémore encore aujourd’hui les cortèges du 6 février 1934 qui se sont déroulés dans un contexte de scandales politiques et dénonçaien­t la république parlementa­ire, peu de mouvements catholique­s revendique­nt la mémoire des manifestat­ions contre la loi Savary pour la défense de l’école libre (1984).

Contre la loi WaldeckRou­sseau

Aujourd’hui, les mots d’ordre autour de la défense de l’enfant et de la famille des manifestat­ions de l’année 2012 entrent en résonance avec un autre rassemblem­ent organisé par les catholique­s en réaction aux effets de la loi Waldeck-rousseau de 1901 sur la liberté d’associatio­n.

Cette loi établit en effet le régime des associatio­ns et encadre les congrégati­ons religieuse­s. Les catholique­s se mobilisent mais échouent aux élections législativ­es de 1902. Cela provoque notamment la division des mouvements de femmes. Certaines veulent abandonner le terrain électoral et constatent l’impossibil­ité du ralliement à la république.

D’autres, souvent épouses et proches de catholique­s libéraux élus à la Chambre et au Sénat, veulent poursuivre l’oeuvre électorale. Elles se regroupent dans la Ligue patriotiqu­e des Françaises ( LPDF) fondée à Paris le 21 mai 1902, dans la même mouvance que l’action libérale populaire, une organisati­on politique de catholique­s libéraux ralliés à la république, et que l’action française qui veut défendre la cause de l’église et celle des femmes catholique­s.

La publicatio­n des décrets d’applicatio­n de la loi de 1901 oblige les congrégati­ons non déclarées à la dissolutio­n puis c’est l’abandon des écoles congrégani­stes en juillet 1902. Les femmes catholique­s de la LPDF y voient une menace en tant que mères – dépossédée­s de leur fonction éducative par l’école publique –, et que catholique­s.

La baronne Reille et Mme Richefeu

Les initiative­s se multiplien­t. Le lundi 21 juillet, un cortège de femmes, emmené par la baronne Reille et Mme Richefeu, se rend à l’élysée pour apporter une pétition de mères à l’épouse du président Loubet. Différents comités et ligues de catholique­s organisent des rassemblem­ents devant les écoles tenues par des congrégati­ons susceptibl­es d’être fermées et accompagne­nt leurs protestati­ons de réunions politiques. Le 23 juillet, des affronteme­nts émaillent les expulsions de religieuse­s des écoles congrégani­stes ; elles sont suivies de contre-manifestat­ions d’« églantinar­ds », terme péjoratif désignant les socialiste­s, qui portent une fleur ou un bouquet d’églantines à la boutonnièr­e, et de bagarres dans le Quartier latin. A Paris, le député nationalis­te du XVIIE arrondisse­ment Pugliesi- Conti est arrêté. La veille, le journalist­e d’extrême droite Gaston Méry et deux hommes politiques catholique­s sont interpellé­s à Saint-ambroise : François Coppée et le député du VIIE arrondisse­ment Jean Lerolle.

Les « mères de famille », qui désignent en réalité différents groupes catholique­s et nationalis­tes masculins comme féminins, appellent alors à un rassemblem­ent à la Concorde le dimanche 27 juillet. A l’annonce de la manifestat­ion, une contre-manifestat­ion est organisée. Le préfet de police Lépine met en place un dispositif innovant : un maillage policier important doit réduire les troubles à l’ordre public et la confrontat­ion entre forces de l’ordre et manifestan­ts des deux bords.

La « délégation » de dames arrive sur la place de la Concorde. La baronne René Reille, épouse et mère de députés, accompagné­e de « l’état-major des dames françaises » toutes membres de la LPDF – la comtesse de Mun, Mme Cibiel, Mme de Pomairols, Mme de Richefeu –, se veut les porteparol­e des mères françaises. Ne pouvant accéder au ministère de l’intérieur pour remettre la pétition des « mères françaises », la baronne lance à l’agent de police : « Au revoir… nous protestero­ns d’une autre manière. » Des affronteme­nts ont lieu entre des ligueurs nationalis­tes et des contre-manifestan­ts. L’ancien préfet de police Andrieu, qui défile aux côtés des catholique­s, est ainsi pris à partie et des coups de canne sont échangés. Des heurts surviennen­t aussi entre les forces de l’ordre et des nationalis­tes. Soixante-dix personnes, manifestan­ts et contre-manifestan­ts, sont interpellé­es et relâchées dans la soirée.

Placées dans une situation inconforta­ble du fait de leur engagement public, les dames essuient les « moqueries du boulevard Saint-germain » . Elles ne reçoivent plus l’appui des comités masculins de l’action libérale populaire qui ne pratiquent pas la manifestat­ion de rue de manière habituelle. La « manifestat­ion des mères de famille », exceptionn­elle dans le mode d’action des catholique­s, est rapidement oubliée. La Ligue patriotiqu­e des Françaises privilégie d’autres modes d’action tels que la propagande par la presse et les conférence­s, les réunions publiques et privées, et s’appuie sur les oeuvres sociales pour contrer la politique de laïcisatio­n de l’état. Même si le succès électoral ne fut pas au rendez-vous, les réseaux féminins catholique­s constituèr­ent un réseau dense sur le territoire métropolit­ain et pouvaient revendique­r 500 000 membres en 1914 et autour de 1 million en 1933, au moment de la création de l’unique Ligue féminine d’action catholique française. n

La visibilité de groupes d’inspiratio­n catholique doit se comprendre à l’aune des transforma­tions de l’église

Naissance à El- Ouldja, petite Kabylie (Algérie). 1957 Il quitte son village et grandit dans le camp de regroupeme­nt d’erraguène. 1962 Départ de la famille pour Alger. 1974 Arrivée à Paris pour étudier le journalism­e. 1989 La Vie quotidienn­e à La Mecque, de Mahomet à nos jours (Hachette). 1993 L’homme qui voulait rencontrer Dieu (Gallimard). 2017 Sors, la route t’attend. Mon village en Kabylie, 19541962 (Les Arènes).

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Soutien à Fillon Frigide Barjot, porte-parole de La Manif pour tous, était présente le 5 mars dernier pour le rassemblem­ent de soutien au candidat de la droite.
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« Mères de famille » Réunies place de la Concorde, le 27 juillet 1902, les « mères de famille », qui désignent en fait différents groupes catholique­s et nationalis­tes, tentent ensuite, en marge de la manifestat­ion, de se rendre au ministère de...

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