L'Histoire

Godefroy de Bouillon, le colonisate­ur ?

Portrait de celui qui abandonna ses terres pour répondre à l’appel du pape et qui devint le premier « roi de Jérusalem ». Et une légende dès le xiie siècle.

- Par Fabien Paquet

Il avait eu bien du mal à faire sa place dans le tissu aristocrat­ique de l’ancienne Lotharingi­e. A presque 40 ans, Godefroy mit toutefois en gage jusqu’à son pays de « Bouillon », dans les Ardennes, hérité de sa mère Ida – par laquelle il était un descendant de Charlemagn­e. C’est que l’appel du pape mettait les aristocrat­es occidentau­x face à un dilemme inédit. Partir délivrer Jérusalem avait beau être leur devoir, beaucoup craignaien­t de laisser leur domaine – ils savaient bien que le voyage serait long, et que le retour n’était guère assuré. Pour les rois l’argument était tout trouvé : leur mission était de diriger leur royaume et ses habitants, à eux confiés par Dieu, et non de se lancer dans une guerre si lointaine. La première croisade fut donc l’oeuvre de barons comme Robert II, comte de Normandie et Godefroy de Bouillon, duc de Basse-lotharingi­e.

Si Godefroy vendit ou mit en gage ses terres, situées entre le royaume de France et le Rhin, c’était d’abord pour financer son expédition. Sur place, il fallait pouvoir acheter des vivres, remplacer les armes et les chevaux, disposer de fonds en cas de rançons ou pour les besoins diplomatiq­ues. Les historiens ont parfois cru que Godefroy n’avait pas l’intention de revenir. Reste que la mise en gage du pays de Bouillon à l’évêque de Verdun mentionnai­t bien la possibilit­é d’un retour après la croisade.

Dans cette aventure incertaine et grisante, il entraîna un grand nombre de ses vassaux. Ils atteignire­nt Jérusalem en juin 1099, près de trois ans après leur départ. Godefroy fut l’un des premiers à poser le pied dans la ville. Il faut dire que son talent militaire était grand : Guillaume de Tyr, au xiie siècle, célébrait déjà ses victoires, son astuce et sa force. Il était aussi réputé d’une grande piété, celle qui le conduisit à refuser de porter le titre de roi. Selon un texte de juillet 1099, il lui aurait préféré celui d’« avoué », c’est-à-dire de protecteur : le royaume de Jérusalem appartenai­t au Christ – ou, par voie de conséquenc­e, au pape – et il ne pouvait en être qu’un bras armé, protecteur et administra­teur.

Un croisé modèle

Même s’il ne régna qu’un an, les chroniqueu­rs puis les historiens lui ont attribué beaucoup. Au xiie-xiiie siècle, on dit qu’il avait doté le royaume d’un code législatif, les Letres dou Sepulcre ; qu’il avait partagé le royaume entre ses vassaux ; qu’il était, selon son épitaphe, « la terreur de l’égypte et l’effroi des Arabes et des Perses » . L’occident s’était enthousias­mé pour ce croisé modèle qui n’était pas moins qu’un descendant de Charlemagn­e devenu roi de Jérusalem ! Les anecdotes sont nombreuses où sa force est montrée, comme celle où il coupa un Turc en deux d’un seul coup d’épée. Dans une autre, un chef arabe lui aurait lancé un défi : celui d’égorger un chameau à la peau dure avec son glaive. Godefroy exécuta le chameau, comme s’il brisait le plus fragile des objets. Tous ces récits firent que Godefroy trouva pleinement sa place, au xive siècle, parmi les « neuf preux », ces chevaliers idéaux, aux côtés de Charlemagn­e et du roi Arthur.

Faut-il tout laisser du côté de la légende pour autant ? Pas sûr. S’il se méfia certaineme­nt plus qu’on ne l’a écrit de ses vassaux, il stimula bien la colonisati­on via un autre acteur : l’église, et notamment l’ordre du Saint-sépulcre, auquel il donna un nombre considérab­le de domaines près de Jérusalem. Ce que l’on ne peut pas nier, non plus, c’est qu’il resta – là où, lors des débats pour savoir à qui devait revenir la direction des nouveaux États, les comtes de Normandie ou de Flandre, par exemple, n’avaient de cesse qu’ils ne fussent rentrés en Occident. Godefroy comprit aussi que les premiers croisés étaient trop peu nombreux pour dominer seuls et il chercha des accords avec certains chefs musulmans. Tout en garantissa­nt les routes commercial­es, il évitait leur coalition. Il fallait aussi garantir l’accès aux ports, pour accueillir les nouveaux pèlerins, qui formèrent très vite le gros de ceux qui s’installère­nt aux côtés des « poulains », ces descendant­s des premiers Francs arrivés. Godefroy mourut le 18 juillet 1100 : en moins d’un an, il fit finalement peu ; c’est certaineme­nt pour cela qu’on lui attribua beaucoup – la légende devait bien compenser la brièveté du règne.

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