L'Histoire

« Être socialiste­conservate­ur-libéral » de Leszek Kolakowski

Ce philosophe polonais s’est interrogé sur le phénomène communiste. Et sur la possibilit­é de construire un monde commun.

- Par Perrine Simon-nahum

LA THÈSE

Comment être socialiste-conservate­ur-libéral reprend les articles publiés par Leszek Kolakowski dans la revue Commentair­e entre 1978 et 2008. Le titre résume la profession de foi politique de l’auteur, dont le système de valeurs s’inspire des trois courants contradict­oires. Conservate­ur, il ne croit ni à la bonté naturelle de l’homme ni à sa régénéresc­ence par la révolution : « Nourrir l’espoir que l’on pourra institutio­nnaliser la fraternité, l’amour, l’altruisme, c’est préparer à coup sûr l’avènement du despotisme. » Libéral, il juge que « les communauté­s humaines sont menacées non seulement de stagnation, mais encore de régression, lorsqu’elles se trouvent organisées de telle manière qu’il n’y a plus place pour l’initiative individuel­le et la faculté de création » . Socialiste, enfin, parce que l’économie doit être soumise à « d’importants contrôles sociaux dans le respect des règles de la démocratie de représenta­tion » . Pour lui, les trois options ne s’excluent pas mutuelleme­nt, elles doivent s’harmoniser.

Leszek Kolakowski enquête sur les mécanismes de pensée qui ont permis non seulement l’existence du phénomène totalitair­e pendant plus d’un demi-siècle, mais aussi son effondreme­nt en 1989. Pour cela, il s’appuie à la fois sur une histoire intellectu­elle et sur une vision philosophi­que de la sécularisa­tion. D’où la place centrale de l’article sobrement intitulé « Religion », où sont disséqués les procédés qui conduisent les individus et les groupes à accepter, voire à justifier, une situation de violence. Mais, au-delà des motifs purement politiques, c’est la constructi­on d’un monde commun, dont la culture européenne demeure le coeur, qu’explore le philosophe. L’ouvrage intéresser­a les historiens du communisme mais également tous ceux, philosophe­s ou sociologue­s, qui s’interrogen­t sur l’avenir de nos démocratie­s.

CE QU’IL EN RESTE

Prolongean­t la critique des Lumières par Isaiah Berlin ou la pensée de l’histoire de Raymond Aron, dans la revue duquel ces articles furent publiés, ou de Reinhart Koselleck, Leszek Kolakowski mène une réflexion sur les normes et les valeurs. On y trouve une critique sévère du multicultu­ralisme et des téléologie­s de l’histoire. Cependant, pour l’auteur, un bon politique, comme un penseur humaniste, doit faire le choix d’un scepticism­e qui ne refuse pas de se reconnaîtr­e dans certaines valeurs et d’un universali­sme qui défende ses principes contre toutes les formes d’indifféren­ce et d’intoléranc­e. Ce qui est aussi une manière de reconnaîtr­e l’importance de la dimension spirituell­e de notre ancrage au monde.

Ni désespoir, ni solution définitive, telle est la recette sur laquelle il nous faut engager le renouveau politique et spirituel de l’europe. C’est par là que la lecture de Leszek Kolakowski se révèle sans doute la plus féconde aujourd’hui, « réenchanta­nt » le monde que nous habitons et nous intimant également l’obligation de soutenir les valeurs qui sont les nôtres. Un exercice de lucidité philosophi­que qui se veut en même temps l’affirmatio­n d’un courage politique.

Directrice de recherche au CNRS

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Préface d’a. Besançon., Les Belles Lettres, 2017.

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