L'Histoire

Une histoire mondiale

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En 2003, le numéro d’été de L’histoire était, déjà, consacré à l’inde. Si nous avons décidé de nous relancer dans l’aventure, c’est que le monde indien joue, en effet, un rôle central dans le renouvelle­ment considérab­le de ce que l’on a pris l’habitude d’appeler l’histoire mondiale. Le pays se prête mal à l’histoire nationale. Qu’on en juge :

Le Bouddha est né au pied de l’himan laya, mais n’a jamais vraiment conquis le sous-continent. A Bodh Gaya, là où il avait atteint l’éveil, on ne trouvait plus au xixe siècle que des temples hindous. Sur les 500 millions d’adeptes que compte aujourd’hui cette religion, 8 seulement ont la nationalit­é indienne.

C’est l’hindouisme qui a triomphé en n Inde, dans sa forme la plus populaire. Mais la langue sacrée des brahmanes, le sanskrit, a, à son tour, étendu son influence sur toute l’asie du Sud-est. Les tours à visage d’angkor sont les témoins immuables de cette « indianisat­ion », acculturat­ion originale et partagée qui ne s’accompagna d’aucune conquête militaire.

Ce sont les colonisate­urs britanniqu­es n (nous rappelle Gérard Fussman) qui, se cherchant des prédécesse­urs, ont imposé l’impeccable succession des « empires indiens », Maurya, Kouchans, Gupta, que les nationalis­tes hindous remettent aujourd’hui à l’honneur… Mais ces ensembles politiques au centre instable, et à la géométrie variable, coïncident fort mal avec un sous-continent qu’ils n’unifièrent jamais complèteme­nt. Et les souverains moghols, musulmans venus d’asie centrale, durent s’accommoder pendant trois cents ans d’une population où l’islam était minoritair­e.

L’océan Indien, naguère bien étun dié par Jean Aubin et Denys Lombard, et que les travaux de Sanjay Subrahmany­am ont remis à la mode, était au xve siècle la mer la plus sillonnée du globe. Contrairem­ent à une légende tenace, due notamment à la disproport­ion des sources, les marchands indiens y étaient bien présents. Mais, dans les ports, on parlait d’abord l’arabe ou le persan.

C’est une poignée d’universita­ires inn diens qui, dans les années 1980, entreprenn­ent de « décolonise­r l’histoire ». Partout dans le monde, ces « subaltern studies » ont fécondé les travaux sur les empires. Elles ont bouleversé la vision du Raj britanniqu­e et redonné sa place à la rébellion des cipayes, qui fut l’un des plus grands soulèvemen­ts de masse du xixe siècle. Au point qu’il n’est pas absurde de demander, avec Pierre Singaravél­ou, si l’inde a « vraiment » été colonisée.

Point besoin d’insister enfin sur la n place à part que tient l’inde au début du xxie siècle. Ce pays émergent plombé par la pauvreté et le sous-développem­ent a suscité un prix Nobel d’économie et forme chaque année dans ses instituts de technologi­e presque autant d’ingénieurs, en proportion, que les États-unis.

Le pays des castes, devenu la plus grande démocratie du monde, redécouvre, derrière Nehru, la figure d’ambedkar, l’intouchabl­e devenu ministre et le père de la Constituti­on. Le pays où les petites filles manquent a voté en 2014 une loi sur la reconnaiss­ance des transgenre­s.

L’inde est un laboratoir­e. Coeur actif de la globalisat­ion, ce pays « qui n’aimait pas l’histoire » mais qui en fait vaciller les frontières et les catégories est un de ceux qui contribuen­t le plus puissammen­t aujourd’hui à lui redonner son souffle. n

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Le pays des castes, devenu la plus grande démocratie du monde, redécouvre la figure d’ambedkar, l’intouchabl­e devenu ministre

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