L'Histoire

Indien ou asiatique ?

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Né dans la vallée du Gange, le bouddhisme part dès le iiie siècle av. J.-C. à la conquête de l’inde, puis du reste de l’asie alors qu’il reflue de son berceau premier. Au nord, par les routes de la soie, le mahayana se répand vers l’ouest, mais surtout vers l’est où le suit plus tard le vajrayana. Au sud, le theravada prend la mer depuis Sri Lanka pour s’implanter dans toute l’asie du Sud-est. emmenaient des moines dans leurs voyages, et de femmes qui accrurent son influence dans les cours indiennes. Les femmes ont en effet toujours occupé une place non négligeabl­e dans l’histoire de cette religion : plusieurs femmes de la famille du Bouddha ont compté parmi ses premiers disciples, un ordre de nonnes bouddhiste­s a existé (les bhikkhuni), et la remise en cause des hiérarchie­s sociales offrait aux femmes, dans une certaine mesure, l’accès à la sagesse et à l’éveil.

Où le bouddhisme s’est-il implanté en Inde ? C’est très difficile à déterminer. L’archéologi­e a toutefois permis d’identifier de très grands monastères, notamment dans la basse vallée du Gange. On connaît ainsi certains points où le bouddhisme a été puissant : les royaumes du Bengale, certains royaumes du sud de l’inde, et enfin l’inde du Nord-ouest, à la limite du Pendjab et du Cachemire, où le bouddhisme s’est implanté très tôt. Mais les plus riches enseigneme­nts sont fournis par les écrits des pèlerins chinois qui se rendent en Inde au ve-viie siècle. Ces moines-géographes voyagent de monastère en monastère, les décrivent et reconstitu­ent ainsi assez précisémen­t le réseau de monastères implanté alors dans le nord de l’inde.

Ces gigantesqu­es cités monastique­s abritaient des milliers de moines. Les dons de rois et de particulie­rs en faisaient de grands propriétai­res terriens. Contrairem­ent aux moines chrétiens, les moines ne travaillai­ent pas eux-mêmes la terre et, puisqu’ils ne pouvaient pas toucher

l’argent, des avoués laïques géraient pour eux ces propriétés. Ce sont également des laïcs qui les nourrissai­ent, en remplissan­t de riz leur bol à aumônes ou les « bateaux à riz » – d’immenses auges retrouvées par les archéologu­es dans les monastères de Sri Lanka. Leur rôle d’accumulati­on et de redistribu­tion de richesses a largement contribué au succès des monastères. C’est sans doute une des principale­s raisons grâce auxquelles le bouddhisme s’est maintenu à Sri Lanka – au moins jusqu’à ce que la malaria vienne ruiner les monastères au xiiie siècle.

Comment le bouddhisme s’est-il diffusé en dehors de l’inde ? Il importe tout d’abord de distinguer deux traditions bouddhiste­s, qui se diffusent selon des voies différente­s : le theravada et le mahayana.

Le theravada désigne la « voie des anciens », c’est la plus proche de l’enseigneme­nt initial – ses détracteur­s le qualifient pour le discrédite­r de « petit véhicule », hinayana. Dans ce courant, seul l’état de moine conduit loin sur la voie de la libération. Le bouddhisme du « grand véhicule », ou mahayana, achemine plus d’individus vers l’éveil (d’où son nom). Il récupère en effet des dieux hindous, des rois et des héros pour en faire soit des disciples du Bouddha, soit de futurs bouddhas : des bodhisattv­as (« bouddhas à venir »), l’équivalent de nos saints. Ils restent dans le monde avant de devenir bouddhas, et accompagne­nt les bouddhiste­s sur la voie.

Même s’il ne s’y est pas fortement implanté, le bouddhisme se diffuse vers l’ouest de façon précoce, avec l’essor du commerce entre le monde indien et le monde méditerran­éen, sans qu’on puisse déterminer l’ampleur de son influence. Sa présence est significat­ive en Iran et en Afghanista­n : en témoignent les Bouddhas de Bamiyan, dont la destructio­n en 2001 par les talibans a suscité une vive émotion. Ces statues monumental­es dateraient de la fin de l’empire kouchan (cf. p. 28), qui s’est étendu de l’asie centrale au nord de l’inde. Se forme ainsi un vaste espace où circulent marchands et moines, et où se répand le courant mahayana favorisé par les Kouchans. Cet espace de circulatio­n ouvre surtout, par les oasis d’asie centrale, sur les routes de la soie, et permet ainsi au mahayana de gagner la Chine et le Vietnam.

Dans le même temps, le bouddhisme se diffuse par voie maritime, vers la Birmanie, le Siam, la Malaisie, l’indonésie et le Cambodge. Ce sont des moines voyageurs d’inde du Sud ou de Sri Lanka qui embarquent avec des marchands et exportent en Asie du Sud-est la tradition theravada, à travers des textes en pali – une langue plus proche de la langue parlée que le sanskrit* du mahayana, et apparentée au magadhi, langue locale sans doute parlée par le Bouddha.

L’adoption du bouddhisme par des population­s étrangères au monde de l’inde s’accompagne d’un essor important du bilinguism­e et de la traduction, les moines bouddhiste­s s’imposant comme les grands traducteur­s de l’asie – entre chinois et sanskrit, chinois et pali. C’est d’ailleurs ce corpus chinois qui nous offre les meilleurs témoignage­s sur l’histoire du bouddhisme.

Alors qu’il connaît en Asie orientale une large diffusion, le bouddhisme disparaît de l’inde. Comment expliquer ce déclin ? Cette question reste très controvers­ée. Une explicatio­n simpliste attribue la disparitio­n du boud– dhisme en Inde aux invasions musulmanes. Cette interpréta­tion a connu un regain de popularité en Birmanie et à Sri Lanka dans le contexte des tensions récentes entre bouddhiste­s et musulmans. Le principal argument à charge est le récit du moine tibétain Taranatha, qui raconte au début

du xviie siècle l’expulsion des moines bouddhiste­s du Bengale en 1299 par les Turcs musulmans. Lorsque ces derniers envahissen­t l’inde du Nord, les cités monastique­s constituen­t en effet des cibles de choix pour leurs déprédatio­ns – de même que, lorsqu’ils parviennen­t au Gujarat, leurs pillages visent prioritair­ement les temples hindous. Les moines indiens se réfugient alors au Tibet, où existait déjà une tradition bouddhiste, mais où cet épisode déclenche une seconde « bouddhisat­ion » : le bouddhisme tantrique tibétain, ou vajrayana, se développe à ce momentlà – il se diffuse ensuite par la même voie que le mahayana. Les invasions musulmanes portent donc le coup final, mais ne doivent pas occulter la rétractati­on qu’avait déjà connue auparavant le bouddhisme indien.

Le déclin du bouddhisme en Inde est en effet bien antérieur, mais très difficile à dater. Car même quand existent de grands monastères, dans les premiers siècles de notre ère, cela ne signifie pas que les population­s alentour soient bouddhiste­s : il est possible que le bouddhisme n’ait jamais véritablem­ent pris en Inde ! A l’inverse, le jaïnisme n’a jamais été soutenu par des empires, mais s’est profondéme­nt enraciné dans de petites communauté­s marchandes qui lui ont permis de se maintenir jusqu’à nos jours et d’exercer une influence plus forte que le bouddhisme dans l’histoire récente de l’inde.

Même à ses débuts, il est possible que cette religion n’ait jamais véritablem­ent pris en Inde

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A Sanchi Grand stupa édifié au iiie siècle av. J.-C. Les fidèles tournent autour de ces empilement­s de pierres surmontés d’une relique.
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