Subaltern Studies : décoloniser l’histoire
Les Subaltern Studies sont au sens strict une série de douze recueils d’articles relatifs à l’histoire de l’inde britannique publiés par un collectif d’une dizaine d’historiens principalement indiens entre 1982 et 2005, à l’initiative de l’historien bengali Ranajit Guha, qui travaillait en Grande-bretagne sous la double inspiration de « l’histoire par le bas » britannique (Edward P. Thompson notamment) et du marxisme critique de Gramsci (auteur du concept de « subalterne »). La visée première des subalternistes était d’en finir avec l’« élitisme » des courants dominants de l’historiographie de l’inde moderne, tant l’histoire coloniale britannique que l’historiographie nationaliste indienne, qui faisait du mouvement de libération nationale l’épopée d’une élite indigène de leaders charismatiques et de cadres militants conduisant les masses de la servitude à la liberté. Ils entendaient au contraire montrer comment la construction de la nation indienne avait perpétué l’oppression du peuple par la bourgeoisie nationale, qui avait réussi à l’instrumentaliser pour capter le pouvoir à son profit après l’indépendance. Il s’agissait de démontrer l’autonomie de la conscience des dominés et de rétablir la dignité du peuple comme sujet de sa propre histoire. Le travail de grande qualité des subalternistes a fait souffler un vent nouveau sur l’historiographie de l’inde moderne, et au-delà, dès les années 1990, quand leur travail a convergé avec celui des postcolonial studies anglosaxonnes. Le lexique et les notions clés des subalternistes ont été appliqués à tout l’ancien monde colonisé, suscitant des émules dans le champ des études latino-américaines et chez les historiens africanistes. Nombre des subalternistes de la première heure comptent désormais parmi les auteurs « postcoloniaux » les plus en vue, comme Partha Chatterjee ( The Nation and Its Fragments, 1993) et Dipesh Chakrabarty ( Provincializing Europe, 2000).