Les Britanniques ont- ils instrumentalisé les castes ?
La caste a été, dès les premiers recensements coloniaux de 1871, un élément de classification sociale. Cependant, les Britanniques ignorent tout de la malléabilité locale des appartenances de caste et de leur hiérarchie constitutive, allant des larges groupes de castes de la grande tradition sanskrite (les varnas) aux petits groupes endogames (les jatis) présents sur des territoires étroits. Ils s’approprient ce concept local pour en faire un outil de tri sociologique et politique de leurs populations et l’imaginent déterminant une partition quasi biologique du sous-continent. De par son élasticité et ses frontières changeantes, la caste, qui était originellement un attribut racial présumé permanent et transmissible, perd progressivement un grand nombre de ses attraits statistique et bureaucratique. La catégorie est presque entièrement abandonnée en 1951. L’inde indépendante ne reconnaît plus la caste, sinon sous la forme du regroupement officiel des hors-castes (les dalits) et des populations tribales vivant hors des plaines. La notion de caste est alors reléguée aux oubliettes coloniales et les Britanniques se retrouvent accusés d’avoir cyniquement déployé cette catégorie pour attiser les clivages politiques. A l’occasion de puissants mouvements sociaux, la caste réémerge pourtant dans les années 1990, quand les politiciens s’emparent des chiffres détaillant les inégalités profondes entre groupes sociaux. Elle devient alors un matériau nouveau à l’expression politique des strates sociales modestes. Les derniers résultats d’enquêtes menées en 2011 font état d’une bagatelle de 4,7 millions d’appellations de castes différentes au sein du pays, ce qui laisse encore songeur sur leur utilité potentielle, aussi bien pour les scientifiques que pour les autorités publiques.