L'Histoire

Puissance bienveilla­nte

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Longtemps négligé après la Seconde Guerre mondiale et le retrait de l’empire britanniqu­e, l’océan Indien revient en force depuis la fin de la guerre froide. Il est devenu un océan clé pour l’économie mondiale : deux tiers du trafic pétrolier mondial et la moitié du trafic mondial des conteneurs y transitent. L’essentiel du commerce indien s’effectue par mer, en particulie­r les deux tiers des importatio­ns pétrolière­s depuis le Moyen-orient. La zone joue un rôle stratégiqu­e croissant : Inde, Chine et Pakistan sont des puissances nucléaires et les Ve, VIE et VIIE flottes américaine­s y croisent régulièrem­ent. La question pour les États-unis et leurs alliés est donc de savoir si l’inde peut jouer le partenaire de revers face à la Chine, de plus en plus active dans l’océan Indien. En outre, les extrémités de l’océan, le détroit d’ormuz à l’ouest, qui mène au golfe Arabo-persique, et le détroit de Malacca à l’est, ont connu au début du xxie siècle encore des épisodes de piraterie jugulés par des opérations militaires, auxquelles ont participé les marines chinoise et indienne. Les rapports avec le Pakistan, toujours tendus, ont une dimension maritime. La supériorit­é militaire indienne, notamment de sa marine, n’empêche pas Islamabad de se manifester : le commando de choc qui fit 166 morts en 2008 à Mumbai était venu de Karachi par la mer. La menace est d’autant plus sérieuse que le Pakistan a des liens étroits avec la Chine, qui a financé le port de Gwadar, proche du golfe Persique. Pékin investit dans des ports de commerce, qui pourraient devenir des bases militaires : la première base chinoise est en constructi­on à Djibouti. En réponse, l’inde cultive des relations avec nombre d’états insulaires de l’océan Indien, et s’est rapprochée de l’iran, finançant par exemple le port de Chabahar, validé par l’accord trilatéral Delhi-kaboul-téhéran, qui permet à l’afghanista­n de contourner le verrou pakistanai­s. Les littoraux de l’océan Indien accueillen­t une forte diaspora venue du sous-continent : au total, près de 27 millions, un potentiel d’influence que l’inde cherche à cultiver. Car le pays souhaite jouer la carte de la « puissance bienveilla­nte » et non menaçante, ce qu’illustre la tournée de Narendra Modi en juillet 2016 dans les pays africains riverains de l’océan Indien. Une façon d’amorcer, en miroir, la « politique de regard vers l’ouest », après la Look East Policy, et de réaffirmer la vocation maritime de l’inde, qui pense aussi aujourd’hui en terme d’« Indo-pacifique », ne limitant pas ses intérêts au seul océan qui porte son nom.

Jean-luc Racine D’après « La nouvelle géopolitiq­ue indienne de la mer : de l’océan Indien à l’indo-pacifique », Hérodote n° 163, 2016/4, pp. 101-129.

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