L'Histoire

Les Italiens qui ont fait la France

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L’émigration italienne, la plus nombreuse en France, est désormais une évidence qui ne suscite plus aucune résistance ou commentair­e. Pourtant, elle ne se fit pas sans obstacle, violence et xénophobie. Mais on l’a oublié tant les Yves Montand, Serge Reggiani, Cino Del Duca nous semblent aujourd’hui plus Français qu’italiens. Le parti pris de « Ciao Italia ! » a été, d’emblée, de proposer une lecture sans pathos – ce qui ne veut pas dire sans émotion – de cette émigration massive, de l’appuyer sur des parcours bien balisés sur une périodisat­ion, une localisati­on, une approche sociologiq­ue du devenir des Italiens en France et une réflexion sur leur héritage culturel. Ainsi structurée, l’exposition est lisible et claire, sans pour autant donner une vision manichéenn­e ou stéréotypé­e. La périodisat­ion emprunte aux étapes de l’émigration. Après les décennies de l’exil politique du xixe siècle auxquelles il est peu fait allusion, les années 1860-1910 sont celles des grandes vagues d’immigratio­n. Près de 2 millions d’italiens quittent la péninsule tout juste unifiée et en proie aux difficulté­s économique­s pour la France. Cette immigratio­n massive dans un pays éprouvé par la crise, la montée du nationalis­me et les soubresaut­s politiques provoqua deux des pires épisodes de xénophobie de la France – hors contexte colonial : les Vêpres marseillai­ses de 1881 puis les affronteme­nts d’aigues-mortes en 1893 qui firent au moins huit morts et plusieurs blessés. Après une Première Guerre mondiale qui vit des volontaire­s italiens venir se battre sous le drapeau français, c’est bien sûr la montée du fascisme qui eut un impact sur l’immigratio­n. Nombre d’opposants politiques se réfugièren­t en France, exportant avec eux la lutte entre le fascisme et les antifascis­mes. De son côté, le régime du Duce faisait tout pour endiguer l’hémorragie de travailleu­rs désormais sommés de se consacrer à l’italie nouvelle, par leur travail et bientôt par leur combat. Après la Seconde Guerre mondiale, ce fut l’accord de main-d’oeuvre franco-italien de 1947 qui permit aux derniers flux migratoire­s de gagner l’hexagone, d’y trouver du travail, dans des conditions difficiles mais moins conflictue­lles : la prospérité économique des Trente Glorieuses et l’ombre portée des conflits de décolonisa­tion tendaient à « normaliser » cette immigratio­n désormais acceptée.

Cireurs, limonadier­s, glaciers…

Une attention particuliè­re est portée dans l’exposition à la spatialité des migrations, avec la mise en évidence de l’évolution nette des régions de provenance : Italie centrale et Italie du Nord avant la Seconde Guerre mondiale, le Mezzogiorn­o dans un deuxième temps. Mais l’exposition présente aussi les lieux de passage, de contrôle, d’attente, en phase avec une historiogr­aphie plus récente. Que font-ils une fois en France, ces Italiens ? Artisans, artistes, commerçant­s et, bien sûr, le BTP et la mine constituen­t les profession­s investies par cette immigratio­n qui réussit une ascension sociale en quelques génération­s : l’exemple de la famille du dernier poilu de la Grande Guerre, Lazare Ponticelli, ou encore celui des Cavanna en témoignent. Une belle part est faite aux petits métiers (cireurs, limonadier­s, glaciers…) longtemps assurés par des Italiens. Ce n’est pas le moindre mérite de l’exposition que de faire dialoguer le récit, l’histoire, avec les créateurs, les objets, les oeuvres d’art. On trouvera donc un modèle réduit de Bugatti, des affiches publicitai­res de Leonetto Cappiello mais aussi des oeuvres de Giuseppe De Nittis, Modigliani, Gino Severini. Et le contraste est puissant entre le triste tableau de 1896 par Tommasi qui ouvre l’exposition, Gli emigranti, et le trio heureux que mène Yves Montand – Ivo Livi de son vrai nom – sur le port de Marseille. n

Catherine Brice Professeur­e à l’université Paris-est-créteil

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