Genève/ Fondation Martin-bodmer Germaine et Benjamin
Née à Paris le 22 avril 1766 et morte dans la même ville le 14 juillet 1817, fille de Suzanne Curchod et du richissime banquier Jacques Necker, écrivaine et femme de tête, Germaine de Staël a passionnément croisé son destin avec celui de l’écrivain politique Benjamin Constant, né fortuné à Lausanne le 25 octobre 1767. Célébrer le bicentenaire de la mort de l’auteure de Corinne (1807) ainsi que les 250 ans de la naissance de celui d’adolphe (1816) : tel est le but que vise l’exposition de la Fondation Martin-bodmer. Une coïncidence calendaire pour éclairer les vies passionnées, les oeuvres foisonnantes et la célébrité de ces deux enfants des Lumières, issus d’une constellation familiale et sociale privilégiée, toujours ancrée dans l’histoire européenne. Un saisissant kaléidoscope visuel et textuel noue leur destin croisé entre l’enfance riante, la rigide formation intellectuelle, l’expérience et la culture politiques de la Révolution, la création littéraire dans l’intimité ou la mondanité, les liaisons dangereuses dès 1794, l’exil doré. Auteure en 1788 du premier essai consacré à Rousseau (Lettres sur les ouvrages et le caractère de J.-J. Rousseau), favorable à la monarchie constitutionnelle mais aussi à la république, pourvu qu’elles soient libérales, chassée de Paris dès 1803 sur ordre de Bonaparte pour sa fronde, l’intellectuelle se replie au château familial de Coppet (Suisse, pays de Vaud), proche de la République de Genève. Depuis ce lieu paradisiaque mué en cénacle d’opposants libéraux à l’empereur (« groupe de Coppet »), Germaine de Staël publie notamment Delphine (1802) ou encore De l’allemagne (1813). Acquis aux idéaux de 1789, intime de l’écrivaine depuis 1794, Constant expose en 1797 (an V) les Effets de la Terreur contre le pouvoir absolu puis loue le « système représentatif » pour la démocratie moderne dans son discours De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes (1819). Entre Lumières et Restauration, libéraux inquiets nourris à Montesquieu, Rousseau, Voltaire, la philosophie anglaise et l’anti-jacobinisme, ces deux intellectuels de la perfectibilité incarnent le cosmopolitisme, le romantisme, le libéralisme et la modernité de l’intimité littéraire en son inclusion sociale. Ils endossent les causes universelles des libertés individuelles, de l’anti-despotisme, de l’abolitionnisme de la traite négrière. Leurs traces mènent à notre identité démocratique et sensible. n
Michel Porret Professeur à l’université de Genève