Le musée d’archéologie nationale a 150 ans
Le musée d’archéologie nationale (MAN) a été inauguré en 1867. Hilaire Multon, son directeur, revient sur l’histoire, le projet et l’avenir de l’institution.
Entretien avec Hilaire Multon
Dans quel contexte le MAN a-t-il été créé ? Hilaire Multon : L’établissement est fondé en mars 1862 sous le nom de musée des Antiquités celtiques et gallo-romaines et ouvre ses portes pour l’exposition universelle le 12 mai 1867. Initiative de Napoléon III, le projet s’inscrit dans le mouvement de création d’institutions qui cherchent à construire des récits nationaux souvent légitimés par des objets archéologiques. Un musée similaire a été créé au Danemark dès 1807 par Christian Jürgensen Thomsen ; il y a aussi le Musée romain-germanique de Mayence, fondé en 1852, qui est un peu le jumeau de Saint-germain.
En France, sous l’impulsion notamment de Prosper Mérimée, de nombreux musées sont conçus dans les années 1850- 1860, tant du fait d’une volonté politique que d’une demande sociale. C’est le temps des sociétés savantes et des sociétés d’histoire et d’archéologie locales. Ajoutons, enfin, des découvertes essentielles pour la préhistoire comme la mise au jour de Solutré en 1866.
Dès ses origines, ce musée n’est pas celui des « antiquaires » mais celui de la transmission. Ce qui explique certainement que la IIIE République ait poursuivi le projet ; en 1879, le musée devient musée des Antiquités nationales.
A l’inauguration, on découvre déjà ce qui fait aujourd’hui encore la richesse du musée : collections préhistoriques ; collections celtiques, issues des fouilles commandées et financées sur la liste civile de Napoléon III ; collections de la Gaule romanisée ; collections d’orfèvrerie mérovingienne.
Le musée est un lieu de premier ordre pour le débat et la recherche archéologique, en particulier sur la question des Gaulois et sur les origines romaines de la France. Il s’inscrit dans les réseaux européens. Il accueille ainsi le Congrès d’anthropologie et d’archéologie de 1889 qui, sous l’égide d’alexandre Bertrand et de Salomon Reinach, alors attaché de conservation, rassemble les plus grands archéologues européens comme Heinrich Schliemann, l’inventeur du site présumé être celui de Troie.
Que devient le musée au xxe siècle ? Comme il se nourrissait des relations internationales et archéologiques européennes, les épreuves de la première moitié du xxe siècle l’affectent terriblement. Pendant la Seconde Guerre mondiale, dès 1940, il est soumis à de véritables pressions de l’occupant. Des salles du musée sont vidées, tandis que l’armée d’occupation installe le drapeau nazi dans la salle I dediée à la préhistoire. Un certain nombre d’oeuvres des collections du MAN sont déplacées à Chambord. Saint-germain-en-laye devient le centre de commandement du front Ouest. C’est, pour les Allemands, une forme de revanche puisque le traité de paix de 1919 avec l’autriche a été signé dans une salle du musée. Raymond Lantier, conservateur en chef de 1932 à 1956, fait acte de résistance, comme en témoigne le rapport de 1944 retraçant ces épisodes douloureux.
Les années 1960 marquent un tournant. Il faut dire que le musée étouffait, avec ses 40 salles construites dans une perspective strictement scientifique et encyclopédique. Malraux, dont on connaît l’intérêt prononcé pour l’archéologie, a l’intuition, à la création du ministère des Affaires culturelles, que le MAN est une grande institution. Il confie donc une mission à l’architecte André Hermant : produire une synthèse, en passant de 40 salles à 18. L’idée de Malraux est de remplacer l’encyclopédisme par la pédagogie. Il s’appuie pour cela sur René Joffroy, qui dirige les fouilles du mont Lassois, découvre la tombe princière de Vix et devient directeur du musée en
1964 – il le reste jusqu’en 1984. Le musée est totalement repensé. On met en valeur les éléments forts : pour le monde celte, les tombes à char ; pour la romanisation, l’archéologie du religieux et des pratiques funéraires.
Cette refonte qui impose la création de réserves, jusqu’ici inexistantes, va prendre près de vingt ans. C’est aussi le temps où mûrit la professionnalisation de l’archéologie française. Pourtant, alors qu’il avait su s’inscrire dans le nouvel état de la connaissance dans les années 1970, le musée, qui devient en 2005 musée d’archéologie nationale, ne prend pas le vent nouveau contrairement au Louvre ou à Orsay ; son état est encore largement hérité de l’époque Malraux. Seule exception, les salles gauloises. Après dix ans de fermeture, Laurent Olivier a été le maître d’oeuvre en mars 2012 de leur nouvelle présentation en accord avec les acquis les plus récents de la science.
Or le diagnostic d’aujourd’hui est sans appel : l’archéologie s’est profondément transformée, tout comme l’attente des publics à l’égard des musées dits de civilisation, qu’il s’agisse d’interaction, de médiation, d’outils de lecture et de compréhension. Cela ne peut se faire en solitaire : nous avons besoin de partenaires, à l’image de l’inrap, des laboratoires de recherche, des services de collectivités. Tel est l’enjeu d’un musée qui présente les objets de cultures et de civilisations qui se sont succédé au-delà des frontières.
Notre musée doit aussi être un lieu de dialogue entre l’archéologie et les autres sciences sociales. Par exemple, la question des restes humains et l’approche culturelle des sociétés nous conduisent à nous tourner vers l’ethnologie. C’est ce qu’avance le nouveau projet scientifique et culturel du musée, que mon adjointe Catherine Louboutin et moi-même avons présenté au début de l’année 2017.
Comment pensez-vous l’avenir du musée ? Il faut répondre aux attentes de notre public, qui est à la fois jeune (25 000 scolaires par an) et international, ce qui impose une approche plurielle et transnationale des enjeux de civilisation. Ce public, désormais, a aussi accès à un nombre considérable d’informations voire de collections de musée sur internet. Pour apporter une plus-value, il nous faut confronter l’objet aux contextes de découverte, l’ouvrir à une interprétation plus large notamment grâce aux outils multimédias. Nous sommes fortement engagés par la création de modèles numériques 3D de nos collections (visibles sur www.sketchfab .com/archeonationale), ce qui est un atout pour la recherche mais aussi pour le public – comme en témoigne le succès de notre exposition de 2016 « L’ours dans l’art préhistorique ». Cela permet une vision fine des objets de petite taille.
Pour demain, je rêve de donner au musée un espace d’exposition temporaire digne de son rang, pour présenter une exposition comme celle sur les Celtes organisée en 2015 par le British Museum que notre musée ne peut absolument pas accueillir actuellement. Le MAN du xxie siècle pourra également préparer des expositions-dossiers autour des débats ouverts dans la communauté archéologique ou des découvertes majeures. C’est pour cela – et aussi pour améliorer l’accessibilité et le circuit de visite – que nous avons engagé depuis 2013 la restauration tant attendue du château.
En nous appuyant sur les coopérations scientifiques existantes, nous entendons construire un projet européen et définitivement sortir de la réputation de « splendide isolement ». D’où le grand colloque international sur cent cinquante ans d’archéologie en Europe (cf. p. 55). Audelà des liens personnels entre conservateurs, scientifiques ou directeurs, il faut structurer un réseau de l’archéologie en musée avec l’allemagne, l’italie, l’espagne ou les pays scandinaves (qui ont été moteurs au xixe siècle).
Quelle idée voulez-vous que votre visiteur garde en partant ? Je voudrais avant tout créer une envie et d’abord qu’il ait le désir de revenir ! Nous souhaitons que le visiteur ait une vision non pas d’un continuum historique mais d’une succession des cultures et des civilisations en Europe et pas seulement sur l’actuel territoire de la France. Qu’il ait plongé dans le passé le plus lointain et que cela l’amène à un questionnement plus qu’à une conclusion. Un musée conserve des collections ; il est en même temps une « oeuvre ouverte » comme l’exprime Umberto Eco. Nous souhaitons aussi montrer que ces cultures matérielles se suivent avec des accélérations, des chocs, des ruptures. Autant de phénomènes très actuels, qu’on pense aux changements climatiques, aux chocs de la guerre ou aux grands phénomènes migratoires. n
« A l’inauguration, on découvre déjà ce qui fait encore la richesse du musée : collections préhistoriques, celtiques, de la Gaule romanisée, d’orfèvrerie mérovingienne »