Idées reçues sur les Gaulois à l’école
On accuse souvent l’école d’avoir propagé jusque dans les colonies des clichés sur « nos ancêtres les Gaulois ». Les choses ne sont pas si simples.
Entretien avec Benoît Falaize
L’histoire : Depuis quand enseigne-t-on l’histoire des Gaulois à l’école ? Benoît Falaize : Il faut faire la part de ce qu’on enseigne aux élèves et de ce qu’on enseigne aux futurs maîtres. Dès 1838, le programme pour les écoles normales contenait un chapitre sur l’état de la Gaule à la fin du ive siècle, sorte de tableau de la France à l’avènement des Mérovingiens que l’on place alors aux origines de la France.
Dans les classes, c’est sous Victor Duruy, ministre de l’instruction publique de Napoléon III et lui-même historien de l’antiquité, que les Gaulois deviennent obligatoires. Dans les programmes de 1868, l’étude se déroule en quatre temps : les Gaules avant la conquête ; la conquête avec le couple César/vercingétorix ; la romanisation ; la christianisation. C’est le moment de l’ouverture du musée des Antiquités nationales (1867). Dans l’inspiration de Michelet, le Second Empire compose un récit patriotique et progressiste qui fait des Gaulois le peuple premier et indépendant, à l’origine de la nation, en lieu et place des Mérovingiens, créateurs d’une dynastie déchue.
Avec la IIIE République et l’école obligatoire, on change de perspective. Si, jusque-là, la part de l’histoire de France est ténue, les années 1880 lui consacrent une place plus grande où, pour l’antiquité, dominent largement les Gaulois.
C’est le temps du fameux « nos ancêtres les Gaulois » ? Cette formule ne se retrouve presque pas dans les manuels scolaires de l’époque, même si Lavisse, dans son Dictionnaire de pédagogie (1887), évoque bien « nos ancêtres les Gaulois » . Dans les manuels et les cahiers d’élèves, les manières de vivre des Gaulois, leurs « moeurs barbares » sont exposées. Au-delà de l’influence de Michelet, il faut souligner l’importance d’henri Martin. Les instituteurs ont pu s’inspirer de son Histoire de France populaire, plus accessible et moins scientifique que l’histoire de France de Lavisse. Elle a aussi l’avantage de contenir beaucoup d’anecdotes susceptibles d’animer les leçons. De là datent nombre de représentations durables, et notamment celles des druides. A cheval entre la science et l’histoire naturelle, ils convoquent les dieux, utilisent le gui. Ces figures pittoresques se sont ancrées dans la mémoire nationale, et celle des élèves en particulier, car c’était la toute première leçon d’histoire au CE1, d’autant qu’un ensemble de matériels fige ces images d’épinal : les buvards, les imageries scolaires, etc.
Un socle de représentations pérennes s’organise : une peuplade indisciplinée, guerrière, divisée, querelleuse, mais industrieuse, courageuse, avec de bons cultivateurs et qui eut l’intelligence de comprendre tout le bénéfice qu’elle aurait à entrer dans la romanité. L’ambivalence est la marque de cette mémoire. Comme un manuel de cours moyen l’écrit en conclusion d’un chapitre sur « La Gaule conquise par les Romains » en 1926 : « Aussi peut-on dire que si Vercingétorix avait triomphé, c’eût été un malheur pour la France. Ce qu’il a fait est pourtant une des plus belles actions de l’histoire qui montre le beau caractère de notre peuple. »
Et dans les colonies, on enseigne la même histoire ? La domination coloniale n’enseigne pas nécessairement « nos ancêtres les Gaulois », contrairement à une idée largement répandue. D’abord parce que très peu d’indigènes ont accès à l’éducation. Et dans cette minorité, il faut encore distinguer deux catégories. Ceux qui ont accès aux écoles françaises des centres urbains, issus des élites indigènes, suivent les mêmes cours que les enfants de colons ou de fonctionnaires. Les autres fréquentent les écoles de « brousse » et des bleds destinées aux autochtones. Ils sont l’immense majorité, et disposent d’un enseignement adapté, dès les années 1910-1920 en AOF, tourné vers l’histoire locale, l’histoire de la civilisation au sens large et de la puissance française dans le monde. Autrement dit, on se saisit de l’histoire locale, des grands royaumes africains, pour montrer les bienfaits de l’abolition de l’esclavage et de la colonisation française.
De la même manière au Maghreb, dès 1945, une initiative émane de l’école normale Bouzaréah d’alger et inonde la Tunisie et le Maroc qui vise à développer l’histoire locale sur le modèle de l’adaptation de l’histoire enseignée en AOF. On invente un récit national local, pendant du récit national français métropolitain. Cela passe par une série de personnages historiques locaux, indigènes, où l’antiquité romaine a toute sa place. Et du coup, peu les Gaulois.
Les manuels français font vite le parallèle entre la colonisation romaine des terres gauloises et la colonisation française en Algérie. Si les Gaulois ont accepté la romanisation au nom des bienfaits de la civilisation, les Algériens doivent être assez intelligents pour accepter la civilisation qu’apporte la France. Le Vercingétorix version algérienne c’est bien sûr Abd el-kader. Tous deux défendent magnifiquement leur terre, sont braves au combat mais savent s’incliner et se rendre dans l’honneur… Ce récit survivra dans les classes jusqu’aux années 1950 environ.
Qu’est-ce qui change dans la seconde moitié du xxe siècle ? En France, dès les années 1950- 1960, on constate une désaffection de l’enseignement
de l’histoire nationale. L’idée et la pratique d’un récit traditionnel et encyclopédique s’épuisent dans les classes. On fait de temps en temps un peu d’histoire des Gaulois, mais toujours en comparaison avec la civilisation romaine – les Gaulois vivent dans des huttes en bois et les Romains dans des maisons en pierre, par exemple. Mais cette histoire peut être faite également, plus sûrement, avec les vestiges locaux, disponibles aux maîtres dans leur commune ou aux environs.
Au fond, dès les années 1960, dans la tête des enfants (et des parents !), les représentations dominantes sont celles des Gaulois de la bande dessinée d’albert Uderzo et René Goscinny – Astérix et Obélix – dont la première planche est parue dans le magazine Pilote en octobre 1959. C’est comme si la BD faisait rejaillir les thèmes traditionnels du xixe siècle sous une forme drôle et satirique.
Par ailleurs, de 1969 à 1980, il n’y a plus véritablement de programmes d’histoire à l’école élémentaire : la pratique de « l’éveil » est laissée à l’intuition et à l’initiative des enseignants. Le récit traditionnel tend à disparaître au profit d’une histoire plus thématique. On ne fait plus le récit d’une nation des origines à nos jours, ce qui suscitera le cri d’alarme d’alain Decaux, en 1979, pour qui « on n’enseigne plus l’histoire à nos enfants » , et qui alimente encore les débats.
Les Gaulois sont de nouveau inscrits aux programmes de l’école depuis 1980. Mais le ton change : on ne leur attribue plus explicitement le rôle d’ancêtres. L’intitulé des programmes de CM1 de 2016 en atteste : il s’agit de « La France avant la France », manière de rompre avec une lecture linéaire et nostalgique de la construction du pays.
Les nouveaux acquis de la recherche passent-ils dans les manuels ?
Les professeurs des écoles ne sont qu’insuffisamment formés à l’histoire de toutes les périodes, alors qu’à peine 10 % ont fait une licence d’histoire (au cours de laquelle on étudie rarement la Gaule pour elle-même). Sur les Gaulois, leur formation est de trois heures environ ; avant de se retrouver face à leurs premiers élèves, des enfants qui n’ont pas 11 ans ! Heureusement, les enseignants peuvent s’appuyer sur de solides aides pédagogiques (comme la belle exposition interactive organisée par l’inrap en 2011-2012 à la Cité des sciences à la Villette). Nous avons de quoi aujourd’hui éviter les clichés ! n
(Propos recueillis par Fabien Paquet.)
« Depuis 1980 le ton sur les Gaulois change : on ne leur attribue plus explicitement le rôle d’ancêtres »