Qui raconte l’histoire ?
Il est toujours plus sûr de raconter l’histoire soi-même. A cette aune, les Gaulois n’ont pas eu de chance. C’est Jules César qui, dans un même mouvement, fait en sept ans la conquête d’un immense territoire entre Rhin, Alpes et Pyrénées, l’observe, le quadrille et, en rédigeant un livre immortel à sa propre gloire, le baptise. C’est bien la Guerre des Gaules qui fait entrer les Gaulois dans l’histoire. Le mot existait peutêtre déjà mais dès lors il s’impose. A tel point que le grand historien Christian Goudineau, professeur au Collège de France, a pu nous persuader, avec un peu d’excès sans doute, que César avait « inventé la Gaule » .
Ce qui est vrai en tout cas c’est que ses « Mémoires de guerre » mêlés d’ethnologie ont dressé des Gaulois un portrait dont on se contenterait longtemps. Mais comme un général n’a guère de temps pour les observateurs de terrain, il n’hésita pas à puiser dans la tradition pour rapporter des pratiques souvent tombées en désuétude. Qu’importe… L’évocation des sacrifices humains lui donnait des adversaires à sa mesure.
Pour notre plus grand profit, il s’inspire aussi beaucoup du récit de voyage d’un philosophe grec qui était venu là cinquante ans auparavant dans un état d’esprit à la fois plus pacifique et plus scientifique. C’est ainsi que nous sont parvenus des morceaux entiers de Poseidonios d’apamée qui seraient entièrement perdus sans cela.
Quoi qu’il en soit, le texte de César et celui – fort lacunaire – de Poseidonios sont les deux seules sources textuelles sur lesquelles s’est établie pendant près de deux millénaires notre connaissance des Gaulois. On ne s’étonnera donc pas qu’ils aient servi de « boîte à fantasmes » (Laurent Olivier). Dans la quête éperdue des origines, ils ont été tour à tour des vaincus auxquels on préférait les Francs, puis, avec les Lumières, les héros farouches dans les veines desquels battait le sang d’un peuple profondément rebelle. Napoléon III, nouveau César, met d’accord tout le monde en inventant les « GalloRomains ». Ouvert il y a cent cinquante ans, le musée qu’il fonda à Saint-germain- en- Laye ( Yvelines) leur était largement consacré. La République confirma. Les Français, jusqu’à Astérix, ne voudraient pas d’autres ancêtres.
C’est de l’archéologie qu’est venu le renouveau. Après les grandes découvertes au xixe siècle d’objets si étonnants qu’on hésita parfois à les leur attribuer, s’est ouvert depuis trente ans le temps des fouilles systématiques : des dizaines de milliers de tombes, des centaines d’oppida, de sanctuaires, livrent à leur tour leurs trésors, révélant une civilisation insoupçonnée. Une culture gauloise, rameau d’une plus vaste et plus ancienne culture celtique, s’épanouit là pendant près de cinq cents ans. Des historiens, tel JeanLouis Brunaux, riches de ce nouveau matériau, ont repris leurs sources, réinterprété les textes, revu les chronologies. Grâce à eux, la Gaule retrouve sa place, celle d’une civilisation majeure de l’antiquité, largement connectée, dès le iiie siècle av. J.-C., à l’ensemble du monde méditerranéen. Moins chevelus, plus philosophes, plus savants, plus artistes, plus politiques aussi que dans notre imaginaire, les Gaulois peuvent enfin entrer dans l’histoire. n
L’histoire
Moins chevelus, plus philosophes, plus savants, plus artistes, plus politiques aussi que dans notre imaginaire, les Gaulois peuvent enfin entrer dans l’histoire
L’innovation est le thème de la 20e édition des Rendezvous de l’histoire de Blois qui se déroule du jeudi 4 au dimanche 8 octobre 2017. Le président en est le mathématicien Cédric Villani – lauréat de la médaille Fields en 2010 – qui l’inaugure. C’est Faouzia Charfi, physicienne et professeur à l’université de Tunis qui la clôturera. Si vous avez manqué les précédentes éditions, une sélection de trente conférences choisies par Jeanne Guérout paraît aux éditions des Arènes, sous le titre éloquent Pour l’amour de l’histoire.