« Gold Star Mothers » de Catherine Grive et Frédéric Bernard
Le voyage des veuves américaines sur les tombes de leurs proches tués en France lors de la Grande Guerre.
Par Pascal Ory
Art majeur, la bande dessinée peut désormais tutoyer la littérature, sous toutes ses formes. Gold Star Mothers pourrait être un joli roman « féminin », sensible et délicatement tragique, qui effleure la tristesse absolue sans trop appuyer, esquisse des portraits de femmes et parle du deuil sur un air de charleston. Mais non, c’est une bande dessinée, avec de simples images un peu fragiles de Fred Bernard, et c’est très bien comme ça.
Le récit se déroule sur quinze jours du mois de mai 1930. Mais ces « Gold Star Mothers », qui tirent leur nom de la médaille dorée au ruban tricolore qu’elles vont porter pendant ces jours-là, sont tout entières tournées vers la Grande Guerre. Ce sont des mères, des épouses (non remariées), parfois des soeurs de soldats américains morts entre 1914 et 1918 en terre française et restés enterrés là-bas, loin du Texas ou du Montana. Oui, 1914 et non pas 1917 car pendant les trois premières années du conflit nombreux auront été les Américains qui se sont volontairement engagés dans l’armée française.
Le chagrin en héritage
Auteur d’un Guide des cimetières militaires en France, Catherine Grive est aujourd’hui l’une des rares à connaître cet épisode où le Congrès des États-unis vota – juste avant la Dépression – un crédit destiné à permettre à ces femmes veuves de leur fils, de leur frère, de leur époux de venir au moins une fois se recueillir sur leur tombe.
Comme toujours, tout est dans le ton. Le climax de la douleur est sans doute atteint dans les cimetières en question, les larmes qui coulent ou qui ne coulent pas – « Je n’aime pas quand elles ne pleurent pas » , dit une accompagnatrice –, les évanouissements et puis cette madame Hatfield qui, la pipe au bec, conclut : « Je n’avais pas besoin de tous ces grands hôtels… J’avais besoin de la crasse, de la saleté du pauvre corps de mes fils. »
Au milieu d’une dizaine d’autres femmes, la scénariste s’attache à l’itinéraire de Jane, la soeur d’alan, mort dès 1915. Installé à Paris en 1912, cet écrivain en herbe, collaborateur du Mercure de France, ami d’apollinaire et lecteur de Rimbaud, s’est peut-être bien engagé sur un coup de tête et un chagrin d’amour – sa Bibi chérie l’ayant quitté pour « un vulgaire petit photographe » du nom de Lartigue. Jane cultive son doux souvenir mais le parcours de cette jeune femme sera aussi jalonné d’un parfum de Chanel, d’une ondulation chez le coiffeur Marcel Grateau, d’une soirée en musique chez une vedette de revue. Il y a Verdun, oui, et ses innombrables croix blanches, mais aussi les rues de Paris, où flotte une liberté féminine que les mères jugent sévèrement (« les femmes n’y gagneront rien ») et qui séduit leurs filles.
« Ce qui reste est le chagrin » sera la dernière phrase de l’album mais, puisque album il y a, sa dernière image, elle, sera une petite photo en noir et blanc, amicale et presque souriante, prise par Jane, qui aura passé son temps à fixer sur la pellicule avec son 6x6, à l’instar d’un Lartigue féminin, les événements fugaces de ce pèlerinage. Elle est là pour témoigner de ce qu’au plus profond de la religion de la mort la vie n’aura eu de cesse de reprendre le dessus. n Pascal Ory Professeur à l’université Paris-i
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Gustave Caillebotte. Un rupin chez les rapins L. Colonnier, Glénat, 2017. Octobre 1917. Une plongée au coeur de la révolution bolchevique P. Rotman, B. Blary, Seuil- Delcourt, 2017.
Gold Star Mothers C. Grive, F. Bernard, Delcourt, 2017.
Né à Belleville en 1936, Georges Perec n’a guère connu ses parents, morts en déportation. Recueilli par un oncle et une tante, il devint interne dans un collège catholique où il fut baptisé en 1943. Plus tard au lycée d’étampes, son professeur de philosophie saura lui donner confiance en lui. Ses études supérieures inachevées, il veut écrire, et très tôt collabore à des revues littéraires. Après plusieurs essais infructueux de romans, Les Choses assurent sa renommée en 1965. Le tournant de sa vie littéraire fut son entrée dans le groupe de l’oulipo, fondé par Raymond Queneau et François Le Lionnais. Les exercices oulipiens vont inspirer en grande partie une oeuvre profuse, labyrinthique, souvent cocasse, dont l’un des meilleurs exemples sera La Disparition, un roman de 300 pages où la lettre « e » n’est pas une fois employée. On s’accorde à citer La Vie mode d’emploi comme son chefd’oeuvre. Georges Perec est mort d’un cancer du poumon en 1982.