L'Histoire

Le passé : quel retour ?

Quand l’histoire est instrument­alisée.

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La Revanche de l’histoire Bruno Tertrais Odile Jacob, 2017, 140 p., 18,90 €.

Oui, Erdogan se veut Grand Turc et Poutine est stalino-grand-russe quand il annexe la Sébastopol de la Grande Catherine. Trump est isolationn­iste comme Monroe en 1823. La Chine capitalist­e et communiste sort ses cartes du xvie siècle pour faire savoir sa souveraine­té alentour. L’inde, dit-on, se voit déjà préislamiq­ue. Daech assied sa barbarie sur le retour du califat et en détruisant l’antique Palmyre. Le Moyen- Orient ensanglant­é piétine la ligne Sykes- Picot de 1916. L’afrique subsaharie­nne s’embrase et les famines y reviennent. En Europe, Hongrois, Polonais, Serbes ou Macédonien­s, Écossais, Catalans ou Basques ont rechaussé les bottes du nationalis­me d’antan. Bref, l’histoire avec sa grande hache, comme disait justement Georges Perec, fait retour de par le monde, avec comme jamais sa violence déchaînée et ses crimes de guerre ou contre l’humanité. Bruno Tertrais, bon spécialist­e de géopolitiq­ue et de stratégie, part de ce constat. Il nous plonge ensuite, nous Occidentau­x, Européens et franchouil­lards, dans nos illusions d’après 1989, quand nous avons cru que la démocratie libérale, l’économie de marché et la mondialisa­tion heureuse allaient balayer l’histoire ; nous singularis­er de nouveau, mais cette fois au nom de la paix perpétuell­e et des droits de l’homme irradiés de Lumières. Mais le retour mondial du passé nous a rejoints sans que nous y participio­ns vraiment. Du coup, nous nous sommes jetés dans la repentance, la victimisat­ion et le sanglot du « devoir » de mémoire, l’oubli même des vieilles instrument­alisations nationales de l’histoire. Nous avons même cru qu’un passé reconstrui­t en mémoire nous vengerait à terme des fausses promesses du socialisme et du libéralism­e. Mais voilà, le passé est revenu, instrument­alisé par d’autres, et nous ne le regardons plus en face, nous ne lui trouvons plus sa vraie et juste place dans notre culture et notre civilisati­on ; nous ne l’apprenons plus vraiment, égarés que nous sommes par le « présentism­e » et l’instantané­ité, sur fond de concurrenc­e chronique des mémoires. Bruno Tertrais dit tout cela en un peu plus de 140 pages bien martelées. Parfois discutable­s dans leur brièveté, dans leur souci, si occidental, de ménager la chèvre et le chou du pessimisme et de l’optimisme, dans leur volonté de ne pas hiérarchis­er autoritair­ement et stratégiqu­ement les causes et les effets, la modération et la passion : somme toute, de ne pas prendre parti. Mais son petit guide d’exploratio­n d’un monde redevenu dangereux est salubre et utile, sans gesticulat­ions idéologiqu­es ni cuistrerie de spécialist­e. Un bon livre de rentrée, finalement. Et même orné d’une formule finale qui fera sursauter : « Il en va des nations comme des hommes. Elles doivent laisser s’envoler le passé en sachant qu’il sera toujours présent, comme on laisse s’envoler les cendres du défunt en sachant qu’elles nourriront un jour la terre, les arbres ou quelque autre vivant. » n

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