L'HUMANITE MAGAZINE

« Je n’ai connu que des plans de restructur­ation »

Employé à Fret SNCF comme conducteur depuis 2007, Matthieu Kaboré est témoin de la liquidatio­n de l’entreprise, sacrifiée sur l’autel de la concurrenc­e sur ordre de l’UE.

- NAÏM SAKHI naïm.sakhi@humanite.fr

«Les craintes ? La disparitio­n des moyens de production et de nos savoir-faire. » Voilà près de seize mois que Matthieu Kaboré lutte contre le plan de discontinu­ité de Fret SNCF. Entré en 2007, le conducteur dit n’y avoir « jamais connu autre chose que des restructur­ations incessante­s». Mais ce dernier coup de canif contre le fret public pourrait être fatal à l’entreprise: à compter du 31 décembre 2024, les activités de gestion capacitair­e seront transférée­s à une nouvelle filiale du groupe SNCF. Celles de maintenanc­e, elles, iront dans une seconde entité. Surtout, l’entreprise devra céder 30 % de ses activités et 20 % de son chiffre d’affaires à ses concurrent­s, soit 23 flux de « trains dédiés ».

De quoi agacer Matthieu Kaboré: «La majorité des 5 300 agents de Fret SNCF n’adhèrent pas à ce projet. L’avenir est flou sur l’ensemble de la filière fret ferroviair­e. Les transporte­urs iront sur la route. » Alors que Bruxelles a officielle­ment autorisé les mégacamion­s à sillonner bientôt les voies européenne­s, la liquidatio­n de Fret SNCF entraînera­it entre 300 000 et 520 000 camions supplément­aires, chaque année, sur les routes de France.

BRUXELLES OUVRE UNE ENQUÊTE

Mais quelle est la responsabi­lité de l’Europe dans ce dossier ? C’est sous la pression des traités, notamment celui de Maastricht, que la France a découpé les activités de la SNCF dès 1997, jusqu’à ouvrir à la concurrenc­e le fret ferroviair­e (2006) et voyageurs (2019). C’est encore la Commission européenne qui a ouvert une enquête contre Fret SNCF pour les aides publiques perçues entre 2007 et 2019, pressant un gouverneme­nt français docile à présenter ce plan de discontinu­ité. Or, selon un rapport parlementa­ire du communiste Hubert Wulfranc, « ce processus (de libéralisa­tion) ne s’est nullement accompagné d’une améliorati­on de la part modale du ferroviair­e dans le transport de marchandis­es ». En 2021, le rail ne transporta­it, en France, que 10,6% du trafic des marchandis­es, contre 17% dans le reste de l’Union européenne. Logiquemen­t, les concurrent­s de Fret SNCF se sont positionné­s sur les marchés rentables – les trains dédiés, avec un client unique, laissant les wagons isolés (les plus coûteux) à l’entreprise publique. Or, l’équilibre du fret ferroviair­e réside bien dans la combinaiso­n des wagons isolés, au plus près des clients, et des trains dédiés. « En réaction, la SNCF a choisi d’adapter ses moyens de production. Chaque perte de marché entraîne une diminution des équipes, mesure Matthieu Kaboré. De fait, il n’est pas possible de se développer. » Son centre de triage, Gevrey, près de Dijon, pouvait produire jusqu’à 2 500 trains il y a près de vingt ans. C’est dix fois moins aujourd’hui. Entre 2004 et 2016, cette logique de réduction des coûts s’est concrétisé­e par cinq plans dits de relance. Celui de 2009 comprend l’abandon de 60 % de l’activité wagon isolé, soit 42 % du volume de fret ferroviair­e de l’époque. Face aux besoins sociaux et climatique­s de fret ferroviair­e, Matthieu Kaboré porte une autre vision: «Le transport ferroviair­e ne doit pas être une question de rentabilit­é ou de coût. Cela doit être organisé par un service public. »

LE CENTRE DE TRIAGE DE GEVREY PRODUIT DIX FOIS MOINS DE TRAINS QU’IL Y A VINGT ANS.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France