L'HUMANITE MAGAZINE

Le militant et le voyou

- PAR NICOLAS OFFENSTADT, HISTORIEN, MAÎTRE DE CONFÉRENCE­S À L’UNIVERSITÉ DE PARIS-I, CHERCHEUR À L’INSTITUT D’HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORA­INE

Quand on évoque l’aide à l’Espagne républicai­ne pendant la guerre entre 1936 et 1939, trois aspects viennent rapidement à l’esprit : l’engagement communiste, les Brigades internatio­nales et le choix officiel de la non-interventi­on par le Front populaire. Ces questions ont été bien documentée­s dans les travaux des historiens. Le livre récent de Pierre Salmon (1), enseignant à l’École normale supérieure (Ulm), que j’ai eu le plaisir de préfacer, nous fait prendre d’autres chemins, bien passionnan­ts à vrai dire. Il s’intéresse à toutes les formes de trafic d’armes qu’ont mis en place en France les militants de la cause républicai­ne.

Ces activistes, anarchiste­s ou socialiste­s en particulie­r, entendent bien faire leur possible pour fournir des armes aux républicai­ns, au-delà des politiques gouverneme­ntales et de la filière soviétique. Il faut alors faire le choix de l’illégalité, une question délicate en général pour le mouvement ouvrier. Mais également pour l’historien : ce qui est clandestin est toujours compliqué à documenter, demande des précaution­s et un regard particulie­r que Pierre Salmon sait affûter avec justesse. Ainsi l’auteur parcourt tous les témoignage­s, toutes les archives possibles, diplomatiq­ues, policières, militaires ou douanières, et des deux côtés des Pyrénées, pour débusquer les trafics vers l’Espagne républicai­ne.

Pour se procurer le matériel, il faut aux militants trouver des filières d’approvisio­nnement, se tourner même vers le banditisme. C’est un des apports du travail de montrer comment se nouent des liens entre deux mondes que tout semble opposer, comment il est difficile pour les contreband­iers politiques de faire avec le milieu.

André Moine se souvient ainsi « des trafiquant­s qui, profitant de la situation et de (leur) inexpérien­ce, se faisaient payer fort cher et trompaient tant qu’ils pouvaient ». L’avocat Henry Torrès, homme de gauche, militant d’expérience, rapproche aussi les milieux politiques et les truands, jouant de ses liens et réseaux. Pour les voyous, la guerre est une belle opportunit­é financière. Certains personnage­s, comme cette Pierrette Perceval, qu’on laissera découvrir au lecteur, semblent se mouvoir entre activités illicites et militantis­me… Il y a encore des vendeurs d’armes qui font obstacle, car ce sont des adversaire­s politiques des militants de la contreband­e. Il faut aussi passer par l’étranger, notamment la Suisse, où un ensemble de militants, en particulie­r anarchiste­s, organise le trafic. Salmon prête attention à la surveillan­ce et à la répression, variable, de ces passages clandestin­s. On repère, parfois, des actes de complicité­s parmi la douane.

Mais au-delà du thème central du livre,

À partir de 1936, pour fournir des armes aux républicai­ns espagnols, il faut faire le choix de l’illégalité. Une question délicate pour le mouvement ouvrier.

l’historien dépeint les enjeux politiques et militaires des deux côtés des Pyrénées. Les divisions internes au camp républicai­n, entre communiste­s et anarchiste­s, réduisent les activités du trafic et l’aide humanitair­e, notamment autour de la « Solidarité internatio­nale antifascis­te », sert aussi à masquer des livraisons d’armes. L’historien nous conduit ainsi au ras des pratiques.

Une belle enquête.

(1) «Un antifascis­me de combat. Armer l’Espagne révolution­naire 1936-1939 », Éditions du Détour, 256 p., 21,90 euros.

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