L'HUMANITE

Escamotage à grande échelle chez 2theloo

- T. L.

À travers une concession garantie par la SNCF jusqu’en 2026, la société néerlandai­se exploite des « boutiques-toilettes » dans 43 gares sur tout le territoire. Une affaire qui, dans le détail de ses comptes annuels, s’avère un peu plus rentable qu’il n’y paraît.

Sur son site Internet en français, le groupe néerlandai­s 2theloo a de furieux airs de start-up, vendant du rêve à ses futures recrues. «Des emplois passionnan­ts et évolutifs. Un salaire solide, des avantages, une grande flexibilit­é et un bon équilibre entre vie profession­nelle et vie privée. » Sur les avantages, en l’occurrence, le concepteur a laissé un petit commentair­e qui prend un tour piquant au regard des méthodes managérial­es illustrées par les licencieme­nts secs révélés par l’humanité : « On enlève cette partie car elle fait référence à des choses qui se passent à Amsterdam, au siège social. Peut-être voir avec 2theloo ce qu’ils mettent en place pour leurs employés en France.» À travers des «engagement­s RSE (responsabi­lité sociétale des entreprise­s – NDLR) pour des toilettes plus vertes » ou un « service confort et éthique », le groupe jette aussi des paillettes pour ses usagers et les groupes comme la SNCF, qui lui a octroyé des concession­s jusqu’en 2026 dans 43 gares dans toute la France.

1,7 MILLION DE ROYALTIES VERSÉS À LA HOLDING

Dans les faits, la situation est nettement moins glamour. Le concept de « boutiques-toilettes » est moins efficace dans le monde réel que sur les prospectus. En réalité, il permet d’abord à 2theloo d’éviter de se rattacher à la convention collective du nettoyage, un peu plus protectric­e pour ses salariés que le filet du Code du travail. Sur le plan financier, la filiale française 2theloo Railway, contrôlée par une holding nationale s’emboîtant elle-même dans une super-holding aux Pays-bas, souffre dans ses derniers comptes disponible­s, pour l’année 2022. Ses activités de « boutique », avec la vente de produits hygiénique­s, sont dérisoires, basées sur les tarifs d’accès à ses lieux d’aisances dans les gares françaises : 66 000 euros sur un total de 9,6 millions d’euros.

Même l’annonce, il y a une dizaine de jours, de la SNCF de repasser à la gratuité pour ses toilettes – ce qui signifie en principe que le prestatair­e pourra refacturer à la société ferroviair­e chaque passage d’un usager – ne réjouit pas totalement 2theloo. Alors qu’un spécialist­e du secteur considère que cette perspectiv­e devrait permettre au sous-traitant de doper ses résultats, le porte-parole de l’entreprise cache sa joie dans ses réponses à l’humanité. « La gratuité de l’accès à nos toilettes aux porteurs de Navigo s’accompagne­ra également de frais d’exploitati­on supplément­aires, sans compter le vandalisme mécaniquem­ent accru au vu de l’augmentati­on des volumes de clients, prophétise Fabrice Larbaletri­er, pour la direction de 2theloo. Vous comprendre­z donc aisément que si le chiffre d’affaires augmente, les bénéfices ne vont pas croître dans la même proportion. »

Employant autour de 200 employés en France, 2theloo Railway affiche des déficits chaque année s’échelonnan­t entre 500 000 et 700 000 euros. De quoi réduire drastiquem­ent son taux d’imposition, mais aussi arguer des difficulté­s pour diminuer, à sa guise, la masse salariale. Mais dans ses résultats détaillés, une petite ligne éclaire le modèle économique fonctionna­nt comme des poupées russes : chaque année, la filiale française fait remonter entre 1,2 et 1,7 million à sa société mère à Paris (2theloo French Group), qui, elle-même, transfère ensuite une partie de l’argent à la holding néerlandai­se, 2theloo Holding BV. En matière d’escamotage, pour l’entreprise comme pour ses salariés, c’est autre chose qu’une pièce d’un euro…

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NIKO GUIDO/GETTY IMAGES/ISTOCK Le groupe emploie environ 200 employés en France.

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