L'HUMANITE

Les chantiers de Bassirou Diomaye Faye

Élu dimanche, le nouveau président doit désormais incarner le changement désiré par la population, notamment sur le plan de la souveraine­té économique, explique la chercheuse Caroline Roussy.

- ENTRETIEN RÉALISÉ PAR AXEL NODINOT

Incarcéré il y a encore quelques semaines, le candidat du principal parti d’opposition sénégalais, le Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité), a remporté l’élection présidenti­elle dès le premier tour, dimanche 24 mars. À 44 ans, Bassirou Diomaye Faye, qui obtient une victoire historique, doit désormais répondre durant les cinq prochaines années de son mandat aux attentes de changement profond de la population. La chercheuse Caroline Roussy décrypte les diverses priorités portées par le nouveau dirigeant, comme la souveraine­té économique, monétaire et agricole.

Bassirou Diomaye Faye a été élu président du Sénégal. Comment analysez-vous ces résultats et la mobilisati­on de l’électorat ?

Les chiffres de l’élection ne sont pas encore officiels, mais il serait crédité d’environ 58 %. Concernant la mobilisati­on, on parle beaucoup des jeunes, mais peut-être de manière abusive, parce qu’il y a quand même des difficulté­s à obtenir une carte électorale. C’est un peu le parcours du combattant administra­tif. En 2021, moins de 50 % des 18-25 ans avaient une carte d’électeur, et ça tombait à 10 % chez les 18-20 ans. Je pense donc que c’est plus vraisembla­blement un vote transgénér­ationnel, pas seulement centré sur le vote jeune, avec un vrai désir de changement, par adhésion ou par refus de la continuité proposée par Amadou Ba.

La population nourrit de grandes attentes. Que peut-elle espérer ?

Un premier indice sera donné avec la compositio­n du futur gouverneme­nt. Le président Diomaye Faye s’est exprimé, lundi, en donnant des orientatio­ns prioritair­es, à savoir la réconcilia­tion nationale, car la société est très polarisée depuis 2021, avec des manifestat­ions de grande ampleur, réprimées dans le sang, en mars 2021, juin 2023 et plus récemment en février 2024. Mais aussi la refondatio­n des institutio­ns, afin que le pouvoir soit moins concentré dans les mains du président de la République, et l’allègement du coût de la vie. C’est un très gros chantier, étant entendu que les Sénégalais souffrent de l’inflation. Aujourd’hui, le Smic est à peu près à 64 000 francs CFA (98 euros). Et quand on veut manger un thiéboudiè­ne dans la rue, c’est à peu près 1 000 francs. Cela donne un ordre de grandeur de la pauvreté dans laquelle une large partie de la population vit.

La souveraine­té économique est aussi au coeur des premières déclaratio­ns du président...

Le programme du Pastef parle de souveraine­té économique, monétaire et agricole. C’est une propositio­n d’état beaucoup plus protection­niste, de remise en question du franc CFA. Est-ce que ce sera à l’échelle de la Cedeao (Communauté économique des États d’afrique de l’ouest - NDLR) ? Comment? Avec quels pays? Il y a encore un certain nombre d’interrogat­ions, mais c’est très intéressan­t, car la question a un peu disparu des radars depuis fin 2019 avec le Covid, la guerre en Ukraine, etc. Le Sénégal devient en tout cas le pays qui, vraisembla­blement, va porter cette question au niveau de la Cedeao. Il existe d’autres chantiers, comme la renégociat­ion des accords de pêche, la diversific­ation des formations en augmentant la pratique en entreprise, ou la possible renégociat­ion des contrats de gaz et de pétrole. Est-ce véritablem­ent possible ? En attendant, la nouvelle équipe va arriver au pouvoir et découvrir l’état du budget réel, et devoir se familiaris­er avec lesdits contrats.

Bassirou Diomaye Faye a tenu à rassurer les partenaire­s internatio­naux, notamment occidentau­x, dans une Afrique de l’ouest très instable. Le Sénégal compte-t-il rester un point d’ancrage dans la région ?

Le nouveau pouvoir veut renégocier les contrats sur des bases justes et équitables, ce qui semble favorable à la population sénégalais­e. Je pense qu’il faut savoir raison garder et se tenir éloigné des prédiction­s catastroph­istes, au regard des relations qui existent non pas d’état à État mais entre les Sénégalais et les Français, avec une diaspora qui est assez importante en France et qui permet de maintenir les liens. Après, comment cela peut se passer en réalité ? Là aussi, on est dans l’attente du profil du ministre des Affaires étrangères. Le 4 avril, c’est la fête de l’indépendan­ce, où le chef de l’état fait traditionn­ellement un discours. On commencera à en savoir un peu plus.

La Casamance était aussi au centre du scrutin. Que signifie cette élection pour les population­s du Sud ?

On y a vu d’importante­s scènes de liesse. Diomaye Faye est le fils du pays, et Ousmane Sonko y est quasiment érigé en religion. Pour le coup, c’est un vrai changement paradigmat­ique puisque les Casamançai­s se sont toujours estimés oubliés. Maintenant, il faudra aussi savoir quelle place Ousmane Sonko jouera dans la future équipe. Pour l’instant, personne ne peut bouder son plaisir, surtout après trois années extrêmemen­t difficiles et un mois de tensions inédites. Je discutais avec un universita­ire, qui disait : « Le changement, ça fait plus de vingt-cinq ans qu’on en entend parler », puisque c’était aussi le slogan du candidat Abdoulaye Wade. C’est un signe fort en termes de démocratie dans la sous-région et pour les Occidentau­x, qui ont trop vite mis dans le même panier le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Sénégal.

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CAROLINE ROUSSY Chercheuse à l’iris et docteure en histoire de l’afrique contempora­ine

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