L'HUMANITE

« Le sport est condamné à des sponsors peu vertueux »

Après Uber Eats, la Ligue profession­nelle a choisi Mcdonald’s comme partenaire titre pour les trois prochaines saisons. Christophe Lepetit, économiste au Centre de droit et d’économie du sport à Limoges, décrypte ce choix.

- ENTRETIEN RÉALISÉ PAR NICOLAS GUILLERMIN

Le 21 mars, la Ligue de football profession­nel (LFP) officialis­ait son nouveau contrat de naming avec Mcdonald’s. Observateu­r attentif du ballon rond français, Christophe Lepetit, économiste au CDES à Limoges, livre son analyse sur ce partenaria­t et revient sur l’avancée de la commercial­isation des droits télé.

Avec Mcdonald’s comme nouveau partenaire titre, la Ligue 1 a doublé la somme qu’elle percevait avec Uber Eats. Est-ce une bonne nouvelle pour le football français ?

Il s’agit de montants estimés, car ni Mcdonald’s ni la LFP n’ont communiqué, mais si la somme est de 30 millions annuels, ça représente­rait une augmentati­on relativeme­nt importante, puisque dans le contrat précédent on était sur 15 millions d’euros la première année et 16 les deux suivantes. C’est plutôt une bonne nouvelle en raison de la concurrenc­e avec les autres ligues qui continuent d’augmenter leurs revenus, et ça envoie le signal que, malgré un contexte compliqué, la Ligue 1 continue d’attirer les annonceurs.

Cette somme est-elle importante ou très inférieure à ce qui se passe dans les autres grands championna­ts européens ?

Tous les championna­ts n’ont pas de contrat de naming. Longtemps, la Premier League (le championna­t anglais – NDLR) a eu Barclays mais c’est terminé ; en Allemagne, la Bundesliga n’en a pas non plus. En Italie, la Serie A a signé un contrat avec ENI pour environ 22 millions annuels et la Liga, en Espagne, perçoit entre 30 et 40 millions d’euros par an avec EA Sports. Cela situe donc la Ligue 1 à peu près au même niveau que la Liga, alors même que cette dernière dépasse très largement la L1 en termes de revenus globaux générés.

Signer avec Mcdonald’s, symbole de la malbouffe, est-il vraiment pertinent en termes d’image quand on sait que le football est très regardé par les jeunes ?

On peut se poser la question de savoir si c’est bien ou pas moralement d’avoir un partenaire titre, symbole de la malbouffe, alors même que la Ligue 1 est une activité sportive et que l’annonce de ce partenaria­t tombe juste l’année de la grande cause nationale « Bouge 30 minutes par jour », pour lutter contre le fléau de la sédentarit­é et donc l’obésité, le diabète, etc. Mais le sport évolue dans une société de consommati­on, libérale, productivi­ste, et se comporte comme un grand nombre d’entreprise­s qui cherchent à maximiser leurs revenus. Tant qu’on est dans ce cadre-là, je crains qu’on soit condamné à des contrats de sponsoring peu vertueux, comme Mcdonald’s ou Betclic avec la Ligue nationale de basket – quand on sait l’addiction aux paris sportifs – ou Totalenerg­ies qui sponsorise une équipe cycliste.

Faudrait-il légiférer ?

Le sujet de fond, c’est le sport doit-il refuser ces annonceurs-là plus que les autres secteurs de l’activité économique française et d’autres pays ? Il faudrait trancher, sinon les critiques seront sans fin. Faut-il voter une loi, un peu comme la loi Évin (qui interdit la publicité pour le tabac et encadre strictemen­t celle pour l’alcool – NDLR) ? Si on régule seulement en France, cela provoquera­it un désavantag­e compétitif pour le sport français, qui est très exposé à la concurrenc­e internatio­nale d’autres ligues ou clubs. Il faudrait donc le faire au niveau européen, mais on sait toute la difficulté que ce genre de sujet entraîne étant donné le droit de la concurrenc­e, la liberté d’entreprise, etc.

Après l’appel d’offres infructueu­x pour les droits télé (2024-2029), fin octobre, la Ligue s’est lancée dans des négociatio­ns de gré à gré avec les principaux diffuseurs et espère atteindre 900 millions d’euros annuels. Est-ce réaliste ?

C’est la première fois que Canal Plus ne participe pas officielle­ment à l’appel d’offres. Donc, de fait, ça réduit l’intensité concurrent­ielle. Ce qui fait monter la valeur des droits, c’est souvent la concurrenc­e que se livrent les diffuseurs pour les acquérir. Elle est donc en baisse et ça va plutôt se jouer entre bein Sports, la plateforme DAZN et peut être Amazon, qui a été plutôt opportunis­te sur l’acquisitio­n des droits et n’a pas comme stratégie de diffuser 80 % de la Ligue ad vitam aeternam.

La tendance actuelle serait un accord avec la chaîne qatarie bein Sports, qui pourrait récupérer l’ensemble des droits télé pour sauver le football français…

Cette rumeur est plausible, car il y a eu un dîner à l’élysée fin février où Emmanuel Macron a reçu l’émir du Qatar Tamim Ben Hamad Al Thani, le président du PSG et de bein Media Group, Nasser Al-khelaïfi, et Vincent Labrune, le président de la Ligue. Il y a déjà eu des interventi­ons politiques par le passé pour le football français et je serais très surpris qu’il n’y ait pas, d’une façon ou d’une autre, des discussion­s actuelleme­nt. Emmanuel Macron s’est souvent engagé personnell­ement sur des dossiers, et, là, il s’agit de la compétitiv­ité de la France à travers la Ligue 1. Donc, on peut penser que ce sujet est à son agenda.

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ANTHONY BIBARD/FEP/ICON SPORT Le 21 mars, le président de la LFP, Vincent Labrune (à gauche), et Jean-guillaume Bertola (Mcdonald’s France) lors de la présentati­on officielle du nouveau sponsor de la Ligue 1.
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CHRISTOPHE LEPETIT Économiste

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