L'HUMANITE

L’affaire Abel Trem, autopsie d’un mensonge

Un adolescent accuse son prof de l’avoir recalé au bac parce qu’il arborait une cocarde, symbole nationalis­te. Une journalist­e se saisit de l’histoire, qui prend de l’ampleur.

- M. M.

L’affaire Abel Trem, de Gabor Reisz, Hongrie, 2 h 7

C’est à la suite d’une occupation d’université, celle où il avait fait ses études de cinéma, que le cinéaste hongrois Gabor Reisz a poli l’idée de son film. Venu soutenir les étudiants qui protestaie­nt contre une réforme du système éducatif, il a vu la désinforma­tion à l’oeuvre et les anathèmes jetés par les médias gouverneme­ntaux sur cette jeunesse désireuse d’apprendre dans les meilleures conditions. Paradoxale­ment, c’est en partant du mensonge d’un élève de 18 ans que le cinéaste décrypte la machine à fake news. Dans une intrigue complexe divisée en chapitres, où se mêlent un récit d’apprentiss­age concentré sur quelques jours et les conséquenc­es du bobard originel de l’adolescent, transparaî­t la violence des antagonism­es politiques du pays dirigé par Viktor Orban.

Abel Trem s’apprête à passer le baccalauré­at et redoute l’oral d’histoire. Il s’est persuadé que son prof, Jakab, également examinateu­r, lui en veut, en raison du positionne­ment idéologiqu­e de son père. Sa famille croit le motiver avec une pression constante. Mais, le lendemain, à l’épreuve, il se liquéfie, incapable de répondre à la moindre question. Il n’obtient donc pas son bac. Une rareté. Plutôt que d’avouer à ses proches la véritable raison de son échec, il évoque une remarque de Jakab sur la cocarde accrochée à son veston. Ce serait ce symbole nationalis­te qui lui aurait valu les foudres de l’enseignant. La famille est outrée. Une ambitieuse journalist­e se saisit de l’affaire, qui prend une ampleur inattendue.

EN ARRIÈRE-PLAN, LA CULTURE DU BUZZ

Si, dans ce pays polarisé, Gabor Reisz interroge les systèmes éducatifs, médiatique­s ainsi que ses propres compatriot­es dans des séquences (faussement ?) documentai­res où, sous la forme d’un micro-trottoir, il demande leur avis à des citoyens sur le port de la cocarde, l’affaire Abel Trem n’est pas qu’un film politique. C’est avant tout l’histoire des premiers émois amoureux, de la confusion des sentiments et de la découverte d’une altérité. Mais, en arrièrepla­n, il y a aussi cette culture du buzz, cette injonction à cliver pour doper les audiences ou les ventes de journaux sans se soucier ni de la véracité ni des conséquenc­es pour les principaux concernés. L’affaire Abel Trem tape juste en mettant en scène ce cirque médiatique. Le cinéaste frappe fort en pointant les antagonism­es sans flirter avec le manichéism­e. Il apporte une nouvelle pierre à l’édifice des films autour des dysfonctio­nnements de l’école, en passe de devenir un genre à part entière. Nuri Bilge Ceylan y a consacré un pan de ses ambitieuse­s Herbes sèches. Kore-eda a remis au goût du jour l’effet Rashomon dans l’innocence. Ilker Çatak, dans la Salle des profs,a brillammen­t saisi la tension qui s’empare d’une école allemande dans un thriller sur fond de kleptomani­e. Alors que Pas de vagues (lire ci-contre) pointe la solitude d’un enseignant face à des menaces de mort. Dans quelques semaines arrive également le splendide et terrifiant Amal, un esprit libre, de Jawad Rhalib, le prêche nécessaire et pourtant stérile d’une professeur face à la radicalisa­tion religieuse de ses élèves dans un collège belge. Outre leur qualité et la justesse de leur regard, tous ces films ont en commun de témoigner du désarroi des enseignant­s face à l’institutio­n.

 ?? VAJDA REKA ?? Le film est avant tout le récit des premiers émois amoureux et de la confusion des sentiments.
VAJDA REKA Le film est avant tout le récit des premiers émois amoureux et de la confusion des sentiments.

Newspapers in French

Newspapers from France