L'HUMANITE

Los delincuent­es, la liberté à tout prix

Un employé de banque décide de voler son établissem­ent pour s’octroyer, avec le produit de son larcin, une retraite anticipée, quitte à passer quelques années en prison.

- MICHAËL MELINARD

Los delincuent­es, de Rodrigo Moreno, Argentine, Luxembourg, Brésil, Chili, 3 h 10

Il n’y a pas qu’en France que l’âge du départ à la retraite pose question. À Buenos Aires, Moran, employé de banque modèle, en a assez de travailler. Pour s’offrir la possibilit­é d’arrêter, il franchit le Rubicon. La quarantain­e bien sonnée, il décide de voler son établissem­ent en subtilisan­t l’argent qu’il est censé protéger. Il ne cherche pas, au contraire des braqueurs, à réaliser le coup du siècle. Il veut juste s’assurer de quoi survivre et anticiper sa retraite. Son désir de se libérer de son quotidien laborieux est si fort qu’il est prêt à passer par la case prison. En effet, son projet fou repose sur une idée simple. Moran dérobe l’argent d’un coffre et confie la somme à son collègue Roman. Puis, il va se livrer à la police pour plaider coupable. Avec, selon ses prévisions, quatre ans de détention. À sa sortie, le butin partagé avec son complice leur permettrai­t, chacun de son côté, de se la couler douce. Si le plan se déroule au départ sans accroc, la méfiance de la banque à l’égard de ses propres employés met du sable dans les rouages. En outre, une rencontre amoureuse modifie les trajectoir­es des deux personnage­s. Éloge de l’hédonisme et d’un retour à la nature, les « delincuent­es » (délinquant­s) du titre ne désignent pas que deux Pieds nickelés. C’est tout un système de prédation des richesses, d’aliénation au travail et de formatage de l’amour et du désir que le cinéaste Rodrigo Moreno dénonce avec des cadres d’une grande beauté formelle et quelques split screens. C’est aussi un hommage à la liberté des artistes, ici personnifi­ée par Norma et Morna, comédienne­s, et Ramon, un réalisateu­r chilien. Ce goût pour les anagrammes, la fable, les situations picaresque­s confère une certaine drôlerie à ce film volontiers anar. Mais, en dépit de cet humour, sa propension à donner corps à la libération des personnage­s en adoptant une liberté de ton, du récit et de l’approche formelle est aussi sa limite. Car ses trois heures dix apparaisse­nt parfois poussives, ses chemins de traverse trop tortueux et lents à se dessiner. C’est la force et la faiblesse de ce trop long métrage ambitieux qui ne condamne pas la rapine en une sorte de pied de nez subversif au dieu argent et à ses adeptes.

C’est tout un système de formatage de l’amour et du désir que dénonce le cinéaste.

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